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Michal Rovner

Depuis que ses maisons carrées en pierre ont été (re)montées au pied du Louvre, près de la Pyramide, Michal Rovner défraie la chronique. Rejetant l’allusion trop directe à l’actualité qui secoue son pays — l’Israël —, elle recherche des formes atemporelles, non affectées, afin d’interroger la mémoire et le territoire. Rencontre avec une artiste poétique et utopiste.

Traduit de l’anglais par Kathleen Melzer
 
Elisa Fedeli. Le public connaît vos oeuvres les plus récentes, depuis la révélation de votre travail à la Biennale de Venise en 2005. Parlez-moi de vos débuts et des expériences marquantes qui vous ont orienté vers la pratique artistique? 
Michal Rovner. C’est difficile à dire… La personne qui m’a le plus influencée, c’est Robert Frank, lorsque j’étudiais la photographie à New York. C’était un très bon ami, il m’a soutenue et encouragée. J’ai senti la puissance de son travail, auquel je me suis identifiée. Je voulais non seulement apprendre à créer de bonnes photos mais aussi faire de l’art dans un esprit de totale liberté. Plus tard, beaucoup d’autres choses m’ont marqué.
L’expérience qui m’a le plus marquée est un voyage en Egypte avec mes parents et notamment la visite du musée du Caire. Parfois, les musées ont l’air artificiel. Celui du Caire, au contraire, ne l’est pas: on se croirait dans un entrepôt de stockage.
 
Les deux Makom que vous avez installés dans la Cour Napoléon du Louvre sont des constructions réalisées à partir de pierres collectées dans des contextes différents. Sans jamais les raboter, vous avez réussi à les assembler, comme par miracle! Pourquoi avoir refusé catégoriquement de les retailler?
Michal Rovner. Je désirais recueillir des pierres issues de maison en ruines et de contextes marqués par la violence et la tension. Quelques-unes ont 50 ans, d’autres 100 ans. Toutes sont de tailles et de styles différents. Chaque pierre porte en elle les traces du vécu des hommes: elle témoigne d’époques et de lieux différents.
Je cherche à les faire co-exister, en les conservant exactement telles quelles et en trouvant une manière de les assembler. Je voulais que chaque pierre touche l’autre. Cela a demandé une longue recherche dans un processus quasi-archéologique.
C’était aussi très physique: il y a en tout 70 tonnes de pierres pour Makom IV, rien à voir avec une construction de légos! Les ouvriers étaient épuisés. Ils m’appellaient, en blaguant, «Pharaon»!
 
La forme des Makom évoque une maison ou une forteresse mais reste très minimaliste, presque épurée. Pourquoi ce choix? 
Michal Rovner. La forme la plus simple et la plus stable est un cube. C’est aussi la plus forte. Je veux représenter une maison mais sans affect. Dans Makom II, il y a une petite fente pour jouer sur une impression d’instabilité. Dans Makom IV, il y a une fenêtre pour faire une relation entre l’intérieur et l’extérieur, entre notre époque et l’histoire.
Le public aime savoir d’où viennent les pierres. Ils veulent connaître toute l’information, comme s’ils étaient dans un musée archéologique. Au contraire, j’aime effacer l’information. J’aime toujours mélanger les lieux et les époques. Mon travail ne porte jamais sur un seul lieu.
 
Vous présentez également au Louvre des projections vidéos, certaines sur les fondations médiévales du bâtiment, d’autres sur des fragments de pierre exposés dans les salles d’antiquités orientales. A chaque fois, la vidéo insuffle un mouvement aux pierres. Un mouvement sans fin ni durée, car il est projeté en boucle. Pourquoi ce choix? S’agit-il pour vous de redonner vie aux pierres?
Michal Rovner. Les pierres n’ont pas besoin qu’on leur redonne vie: elles sont une matière en vie, même si leur mouvement est très lent. Sur les pierres, la projection lumineuse va et vient. Son caractère immatériel vient suggèrer quelque chose de fluide, de temporaire et d’instable. Elle agit comme une écriture d’une longue vie que les pierres auraient traversée. La lumière change tout le temps, de manière complètement indépendante. C’est une illusion, dans laquelle quelque chose devient. Je veux marier ces contraires, pierres et lumière, matière et immatériel.
Makom est aussi un travail sur le mouvement, mais de manière différente. Les pierres sont prises dans un processus de destruction-construction: je les ai assemblées dans une autre forme et enfin elles seront désinstallées. C’est un travail sur le faire et le défaire, dans une succession de mouvements.
 
Le chantier de construction des Makom est avant tout une aventure humaine, que vous avez partagée avec des maçons palestiniens et israëliens. Quels en sont les moments inoubliables?
Michal Rovner. J’ai amené toutes ces pierres chargées d’histoire d’un lieu à un autre. C’était un moment très fort, comme un rêve, de les voir arriver au Louvre. Nous avons eu beaucoup de difficultés avec les autorités (sécurité, monuments historiques, architectes). Il a fallu attendre 12 jours avant de commencer la construction! J’étais très embarassée par rapport aux maçons, qui sont habitués à travailler sans attendre. Mais ils m’ont soutenue, en me disant: «Nous sommes votre armée et c’est un honneur de travailler avec vous». J’ai répondu que je ne voulais pas d’armée mais des amis. Ils m’ont finalement répondu qu’ils étaient ma famille. C’était un moment vraiment extraordinaire! Entendre cela dans la bouche de palestiniens alors que je suis une femme israélienne m’a donné beaucoup d’espoir! Comme on commencait à se rapprocher, à se connaître et à se comprendre, les pierres ont alors commencé elles aussi à s’assembler. 

Dans certaines de vos projections, apparaissent des silhouettes féminines blanches. Qui représentent-elles?
Michal Rovner. Ce sont des femmes de tous les temps, aussi bien anciens que contemporains. Peut-être qu’elles prient ou qu’elles murmurent quelque chose. C’est un travail sur l’idée de rupture dans l’histoire, qui dépasse la question politique de l’actualité.
Il y a une installation vidéo que j’appelle Frescoe Louvre: on peut y voir comment les murs tombent et se fissurent. Je me situe dans un futur possible, où le Louvre pourrait avoir besoin d’une restauration après avoir été détruit. C’est cette idée de rupture dans l’Histoire qui m’intéresse. Depuis le début, une civilisation s’est construite sur une autre, en la détruisant.

Vous avez illustré, par une vingtaine de dessins au trait, le livre Dans tes bras écrit par David Grossman. Pourquoi ce projet vous a-t-il plu? 
Michal Rovner. C’est une histoire merveilleuse d’une mère avec son enfant. La mère dit à son fils: «Tu es merveilleux, il n’y a personne comme toi sur la terre». L’enfant est surpris et il répond: «Je ne veux pas être unique car je me sens seul comme cela». A partir de là, commence un dialogue autour de l’unique et du collectif. Ce sont des questions très simples, presque naïves, mais d’ordre philosophique. C’est un livre qui peut toucher tout le monde, quelque soient son lieu de vie et son âge. Pour moi, la chose la plus importante quand on est artiste, c’est de savoir poser des questions.  

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