ART | INTERVIEW

Michal Batory

Le musée des Arts Décoratifs célèbre actuellement le talent de Michal Batory, un artiste qui a choisi l’affiche comme territoire d’expression. L’occasion pour nous de s’interroger avec lui sur ce qui fait la force d’une bonne image et de distinguer le graphisme culturel de la publicité.

Elisa Fedeli. Pourquoi vous êtes-vous orienté vers l’affiche, plutôt que vers un autre support d’expression?
Michal Batory. Je suis rentré aux beaux-arts en me spécialisant en gravure traditionnelle. Ensuite, j’ai vu toutes ces affiches, un peu partout dans la rue, et la diffusion à grands tirages m’a attiré.
L’affiche m’a permis d’intégrer la photographie et d’aborder des sujets qui se renouvellent, du fait de la commande. Je ne suis pas comme un peintre qui reste dans son atelier, où il s’imagine des thèmes. J’ai des thèmes donnés et je les interprète à ma façon. C’est toujours très vivant.

Vous avez vécu et étudié les beaux-arts en Pologne à l’époque du communisme, quand la censure sévissait contre les artistes et les penseurs. Selon vous, quel est l’impact de cette expérience sur votre travail artistique et sur votre manière d’envisager la création?
Michal Batory. L’impact est très simple. La naissance de l’affiche est un jeu avec la censure. La métaphore vient du fait qu’on ne pouvait pas exprimer directement les idées, mais qu’il fallait penser en messages codés. Certains étaient capables de les décoder, d’autres pas. Quand certaines idées passaient outre la censure, toute la Pologne se marrait!
La Pologne a inventé l’affiche du XXè siècle. Les artistes des années 1960 et 1970 utilisaient beaucoup la peinture. J’ai préféré la photographie mais l’idée reste la même: métaphore, codage, décodage.
Pour moi, il faut qu’une affiche puisse être lue aussi au second degré. Sinon, c’est un peu facile. Au premier degré, vous ne pouvez pas être riche en sens. Cela donne les effets que l’on voit dans la rue: des désastres visuels. Soit parce que les auteurs manquent de temps ou de talent, soit parce que les commanditaires ne veulent pas intellectualiser le contenu.

En 2009, suite à un changement de direction au théâtre de Chaillot, vous avez été remplacé par une agence de communication. Est-ce une tendance que vous déplorez?
Michal Batory. Avec le théâtre de Chaillot, pendant neuf années, nous avons mené un combat pour la qualité. Chaque fois, il y avait de longues discussions avant de créer l’image. Un travail d’interprétation, comme le mien, demande beaucoup de temps. J’ai une double responsabilité: m’informer sur le texte original et sur l’approche du metteur en scène. Dans ces moments-là, il faut que je sois comme une éponge, je deviens journaliste.
En plus, j’ai une autre contrainte: l’image doit être vue en trois secondes. Les metteurs en scène, eux, ont au moins deux heures et demi!
L’agence qui a pris ma place au théâtre de Chaillot a vendu un système qui exploite une banque d’images numériques. Elle a évacué tout message. L’affiche est donc prête en une demi-heure!

Avec quelles personnalités avez-vous étudié et expérimenté l’affiche? Dans quel sens celles-ci vous ont-elles marqué?
Michal Batory. A Lodz, j’ai eu le professeur Balicki, qui est mort il y a trois ans. J’ai étudié dans une école qui n’était pas du tout spécialisée dans l’affiche, comme celle de Varsovie. J’avais un professeur constructiviste, assez difficile, dont le style était très éloigné de ce que font Lenica, Tomaszewski et Starowiejski. Mais il nous laissait très libres au niveau de la forme.
Tomaszewski était le maître spirituel dans le monde de l’affiche. Tellement fascinés, ses étudiants ont fini par reproduire ce qu’il faisait. A Lodz, je n’avais pas ce problème-là, car je n’étais pas fasciné par ce que faisait mon professeur. Il m’a enseigné la règle fondamentale de l’affiche: éliminer. Si vous ajoutez, vous devenez bavard et cacophonique.

Quand vous êtes arrivé à Paris, à la fin des années 1980, quel était le climat dans le monde de la publicité et de l’affiche?
Michal Batory. Il y avait un énorme fossé entre la publicité et le graphisme culturel. Les deux mondes se détestaient, ce qui est un phénomène proprement français. Je me suis orienté du côté culturel et j’ai vu ce mépris pour la publicité jusque dans les années 1990.
A mon avis, aujourd’hui, ce clivage se fond: les graphistes font des campagnes de publicité, les théâtres embauchent des société de publicité. Dans les années 1990, cela aurait été impossible! Les graphistes obtenaient toutes les commandes, de la ville, de la région, etc. Les théâtres travaillaient uniquement avec des artistes.
Au niveau de la qualité, je pense qu’il y avait beaucoup plus de productions intéressantes à l’époque que maintenant.

Parmi vos contemporains, qui sort du lot, selon vous?
Michal Batory. Quelques-uns seulement, comme Michel Bouvet, Alain Le Quernec, Ronald Curchod et Gérard Paris-Clavel. Pour moi, il n’y a plus beaucoup de vrais affichistes en France, seulement des graphistes.

Et en Pologne?
Michal Batory. En Pologne, il y a toujours beaucoup d’affichistes mais 99% d’entre eux n’ont plus de travail et se tournent vers d’autres supports, comme les couvertures de livres ou les pochettes de disques. A ce point de vue, la culture est morte en Pologne car le gouvernement ne lui donne plus un sou.
C’est de plus en plus le cas en France et cela finira de la même manière: par la disparition des affiches. Le système français est ainsi fait que la campagne d’affichage coûte plus chère que la commande de l’affiche-même!

Dans votre exposition au Musée des Arts Décoratifs, vous vous présentez comme un «Artisan de l’affiche». Pourquoi artisan, plutôt qu’artiste?
Michal Batory. Dans la première partie de l’exposition, on découvre comment l’affiche est faîte. Comment par exemple je sculpte une tasse de céramique, avant de la mettre en scène et de la photographier. L’aspect plastique de mon travail est très important.

Pour réaliser vos objets, vous utilisez fréquemment des matières organiques — comme les fleurs et les fruits — que vous laissez ensuite se dessécher. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce rapport au vivant?
Michal Batory. La vie, l’amour et la jeunesse passent très très vite. Encore plus dans les formes organiques. Je saisis le moment de la plus grande beauté de ces objets et je les laisse ensuite mourir. Ils acquièrent alors une autre forme de beauté. Comme la pomme, pour Les plus beaux poèmes d’amour…
On a vingt ans, on ferme les yeux et puis on en a déjà quarante! Dans nos sentiments, c’est parfois pareil: ils périment au bout de trois, de cinq ou de sept ans… Dans l’exposition, il y a cette réflexion par rapport au passage du temps, chaque phase étant très belle.

Dans le catalogue de l’exposition, vous avez choisi cette citation de Joan Miro’: «Il faut que les œuvres soient conçues avec une âme de feu mais réalisées avec une froideur clinique». Où situez-vous la «froideur clinique» dans vos images?
Michal Batory. Il y a, dans mes images, une sorte de perfection. Je passe beaucoup de temps à réaliser le montage et le passage entre deux matières. Pour moi, l’idéal, c’est qu’on ne voit plus l’outil Photoshop, ce qui demande beaucoup de savoir.

Quels sont vos projets en cours de réalisation?
Michal Batory. Je réalise actuellement une affiche pour l’exposition «Morceaux Exquis» de la Fondation EDF.
La galerie Roi Doré présentera prochainement mes images, dans une approche totalement opposée à celle du Musée des Arts décoratifs. Je me suis en effet intéressé à cette question: que se passe-t-il si j’enlève de mes images tous les textes, les logos et les soi-disants parasites? Dénudées et exposées comme des tableaux, mes images deviennent des objets d’art contemporain.

Exposition «Michal Batory: Images sans titre», du 14 avril au 17 mai, Galerie Roi Doré, 6 rue Sainte Anastase, 75003 Paris.

Lire sur paris-art.com:
— L’exposition «Michal Batory, artisan de l’affiche»

 

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