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Michael Rouah, Artoyz

Pour Michael Rouah, co-fondateur du magasin Artoyz, le jouet est à la sculpture ce que la sérigraphie est à la peinture. Tout un programme ! Au-delà de l’effet de mode, les artistes s’emparent de plus en plus du jouet et s’en servent comme d’un médium à part entière.

Par Pierre-Evariste Douaire

Michael Rouah considère le jouet de designer comme une forme artistique à part entière. Support idéal il permet à tous les créateurs de s’exprimer. Fédérateur, il est une plateforme où se côtoie designers, artistes graffitis et artistes contemporains. Facile d’accès il brise autant les clivages que les tabous, populaire il annihile tout élitisme et favorise la création. Mouvement de mode ou tendance durable dans le monde de l’art ? L’avenir le dira.

Pierre Douaire : Depuis quand les artistes utilisent-ils le jouet comme médium?
Michael Rouah : En 1996 Michael Lau est le premier à avoir utilisé la poupée comme support de création. Ce Honk Kongais transforme les standards du jouet en plateforme artistique. Il utilise le format douze pouces (12”), celui des célèbres Gi Jo’s, pour développer et projeter ses propres créations. Avec lui le jouet est devenu un support artistique à part entière, un médium parmi d’autres. Il a révolutionné la planète en inventant et popularisant une nouvelle façon de faire de l’art. L’exposition 103 gardener a fait le tour de la terre et l’a rendu célèbre par la même occasion. En occident il faudra attendre 1999 pour que James Lavelle, grand fan de jouet, se mette dans la partie. Futura 2000, grande star du graffiti, fera parti de l’aventure. La scène post-graffiti ne sera pas en reste et démarrera la même année à travailler sur ce nouveau canevas très tendance, comme Koz en France.

Les jouets de designers ont leur place dans le monde de l’art contemporain?
Le Toy est indissociable de l’art contemporain. Le jouet est à la sculpture ce que la sérigraphie est à la peinture. Warhol a révolutionné l’art de son époque en faisant passer des photos dans un écran sérigraphique. Par son action il a favorisé un nouvel outil, il l’a légitimé et élevé au rang de médium. Pourtant à l’heure actuel, ce sont les designers qui se sont le plus emparés de ce nouvel objet artistique. Ils investissent beaucoup de leur temps et de leur énergies dans ce support. Le travail d’un Jeff Koons est très proche de cet univers, à la différence près qu’il réalise des pièces uniques dans des matériaux hors de prix. Le jouet est fabriqué dans du plastique et diffusé à un nombre conséquent. Quand à Murakami il mélange les genres et il n’hésite pas à sauter le pas et à utiliser de nouveaux support.

Les artistes urbains s’emparent aussi du jouet comme espace de diffusion.
Tous les artistes post-graffiti ont envie de faire des jouets. Des figures importantes comme Buff Monster, Flying Fortress, Shepard Fairey, Mist ce sont mis à en fabriquer.

Le jouet est-il simplement un phénomène de mode?
Le jouet va bien au-delà de l’effet de mode, c’est un média à part entière. Je travaille énormément pour la reconnaissance du jouet, j’organise sa promotion dans le magasin Artoyz, en diffusant et produisant des séries limitées d’artistes, mais aussi à travers des expositions et des conférences. Ce n’est pas un hasard si nos produits sont disponibles à la boutique du Centre Pompidou ainsi qu’au Musée des Art Décoratifs. D’ailleurs Michael Lau devra normalement y faire une expo début 2007.

Comment promouvoir le jouet?
Il faut d’abord partir du constat que le jouet est un art à part entière. Pour promouvoir cette tendance il fallait pouvoir diffuser et médiatiser ce nouveau support. Artoyz a démarré sur internet en novembre 2003. Le jouet avait besoin avant tout d’une vitrine, dans les deux sens du mot. La mise en ligne d’objets a été une première étape, et une expo en mars 2004 une seconde. Le magasin Colette s’est prêté au jeu et a accueilli une expo et une conférence expliquant la démarche de ce nouveau courant. Avec Tag The System à l’espace Beaurepaire, les choses ce sont accélérées, et chacun a pu se rendre compte de l’ampleur du phénomène. Le projet consistait à exposer cent maquettes de trains customisés par des artistes post-graffiti. Les carlingues des wagons new-yorkais étaient personnalisés par des grands noms de la scène urbaine. Cette manifestation a été au-delà de toutes nos espérances. 1500 personnes ce sont bousculées lors du vernissage, bloquant la rue et empêchant toute circulation autour de la galerie. Toutes ces expositions ne rapportent ne nous rapportent rien mais participent à crédibiliser notre propos. Aujourd’hui Artoyz a pignon sur rue, un petit magasin dans le 1er arrondissement de Paris, produit, commande et diffuse des jouets de designer. L’intention de départ était de diffuser et de promouvoir au maximum le jouet. Être présent à la fois à Beaubourg et dans 180 boutiques en France permet de mener à bien cette double mission.

Pourquoi avoir envie de créer des jouets?
Beaucoup de fantasmes entourent le phénomène. Les artistes rêvent de créer leur propre jouet. En le fabriquant ils réalisent un rêve de gosse. La plupart d’entre eux se fichent de gagner de l’argent. Par contre la clientèle de ce type de produits est plutôt branchée, elle provient du monde de la com, des médias, de l’art. Avoir son jouet en vitrine est une bonne occasion de proposer sa carte de visite, cela permet d’ouvrir des portes, et suscite de nombreuses propositions. Il est plus facile d’exposer après.

La récupération, le détournement sont des notions attachées au jouet du designer?
La récupération de standard est un exercice assez périlleux et presque impossible à réaliser. Les grandes firmes européennes, comme Lego et Playmobile, interdisent toute customisation de leurs figurines mythiques. Elles empêchent jalousement toute mutation, tout débordement. Les règles sont établis à l’avance et figées dans un dogme inébranlable. Il est formellement interdit de transgresser le modèle initial, de toucher au format. Les têtes sont calibrées et ne peuvent être transformées. Mais un concept comme celui de Kubrik permet de contourner ces obstacles. Il mélange des standards existants et proposent une figurine vierge personnalisable par chacun.

Ce modèle est-il importable en France ? Les américains s’arrachent les cartes collectors de leurs idoles sportives, mais je ne vois pas ce phénomène de spéculation gagner les vignettes Panini de notre enfance.
Les tradings cards jouissent d’une grande aura aux États-Unis, elles génèrent une culture forte, des magasins spécialisés sont implantés à travers tout le pays. Il est vrai qu’en France les vignettes Panini sont confinées aux bureaux de tabac, mais la culture Toys débarque dans l’Hexagone et va sûrement changer la donne.

Le jouet de designer est-il une dérive marchande ou un activisme?
La question se pose tous les jours sans qu’une réponse satisfaisante apparaisse. Les préoccupations et les intentions des artistes ne sont pas plus claires. Le jouet est mercantile et artistique à la fois, il est pris dans cette double position. Les sérigraphies de Warhol partagent cette ambiguï;té. Pour accéder à la légitimité qu’il leur revient, il faudra que les jouets cessent d’encombrer les vitrines des boutiques. Pour accéder aux socles des musées il devront quitter les étagères des magasins. La prise de conscience ne pourra se faire qu’à partir du moment où ils auront disparu du circuit marchand traditionnel.

Le jouet est d’un prix très abordable?
Beaucoup d artistes ont une idée très précise du prix d’achat de leurs jouets. Généralement ils veulent que la pièce coûte moins de tel prix, pour certain c’est 50 €, pour d’autres c’est 10€. Les stratégies et les intentions diffèrent, certaines sont populaires et d’autres plus élitistes. A travers ce prix plafond, chacun d’entre eux cultive une relation particulière avec le public.

C’est simple à produire un jouet?
Le jouet de designer est le concept anticapitaliste par excellence, il utilise des techniques industrielles au service d’une série limitée [en général 500], c’est une démarche résolument irrationnelle, car aucune économie d’échelle est possible et toute recherche de productivité est impossible. Financièrement c’est une gageure tandis que techniquement c’est cauchemardesque, chiant à faire et très contraignant.

Le jouet est-il régressif?
Le jouet de designer s’adresse à une nouvelle génération de personnes : les trentenaires. Ils sont beaucoup plus ludiques que leurs parents, ils ont eut des jouets pendant plus longtemps qu’eux. Les ordinateurs ont bercés leur enfance et les accompagne dans leur vie d’adulte. J’en suis le meilleur exemple, j’ai trente ans, je suis chef d’entreprise, j’ai plein de jouets, je joue à la console vidéo, mais je suis responsable et adulte.

Le retour de Casimir, le monstre gentil, est pour moi le signe que les “adulescents” n’acceptent pas le monde des adultes.
Pour le coup Casimir représente une vrai régression car il s’agit de recyclage. Le jouet de designer prend à contre pied cette mode de la régression récréative. A l’inverse des anciennes idoles de notre jeunesse, il forge ses propres règles, édicte ses propres codes. Ses références ne sont pas enfantines mais adultes, c’est pour cela qu’il échappe à toute régression. L’achat de ces objets est réfléchit. La renommée de l’artiste influence beaucoup les futurs acheteurs. A l’image des collectionneurs d’art ils prennent en compte tout un tas de paramètre pour choisir leur poupée.

English translation : Rose Marie Barrientos
Traducciòn española : Maï;té Diaz Gonzales

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