DESIGN | EXPO

Métamorphoses

18 Oct - 23 Oct 2011
Vernissage le 17 Oct 2011

Évoluant dans une société dont les mutations sont aussi rapides que spectaculaires, Shi Shaoping est fasciné par le changement et le progrès. Ses œuvres parlent de transformations, d’attente, d’agitation, de prospection mais aussi de fossilisation. Cette exposition présente une quarantaine d’œuvres récentes, la cinquième série sur le thème des «Métamorphoses» qui répond encore une fois a ce constant besoin de rupture avec ce que Shi Shaoping avait établit précédemment.

Shi Shaoping
Métamorphoses

Dès l’entrée de la vaste salle d’exposition le visiteur est saisi d’une impression contradictoire, néanmoins efficiente: le «white cube» est investi (infesté dira-t-on) par une grouillante assemblée visqueuse. Les panneaux blancs étalent des couleurs de marécage et de putréfaction. Bienvenu.

Puis, nous reconnaissons des formes familières. Passé ce premier constat, comme rassurés (à tort?), nous sommes invités à découvrir la matière proposée. Peinture, donc. Les coups de brosse sont rapides, enlevés, calligraphiques. Le dynamisme de la ligne tranche avec la surface immaculée de l’arrière-plan. Parfois ça coule un peu, à la verticale ou en biais et l’ensemble renvoie à une facture maîtrisée, virtuose même. Souvent un curieux relief fripé apparaît dans le centre de la composition…

Shi Shaoping nous livre des représentations de grenouilles, crapauds et autres xénopes. Il ne donne pas dans la taxidermie hyperréaliste (à la mode en ce moment), mais dans un registre (post)expressionniste de fière allure, une «maniera» qui a survécu, en les intégrant, au cartoon, au manga et au comic book. Les créatures de Shi Shaoping se situent entre Bob l’Eponge (yeux globuleux, lignes ondulantes exécutées fluidement, d’une traite) et une grosse abstraction expressionniste à la Paul Jenkins, Antonio Saura ou encore Zao Wou Ki.

Les reliefs mentionnés sont de réelles peaux d’amphibiens collées sur la surface de la toile, revisitées au moyen de couleurs, encres, pigments (on dit technique mixte). Les tons sont naturels, ceux des diverses espèces d’anoures qu’instrumentalise le peintre.
Il en retrace les contours, leur insufflant une bougeotte warholienne, ce qui a pour effet de les extraire d’un « rigor mortis » manifeste, implacable. Nous assistons à une danse macabre.
Les créatures pétrifiées font mine de reprendre vie, l’espace d’un instant symbolique. Disposés en frise régulière, favorisant le déploiement en colonne, les Frankenstein du Dr. Shaoping esquissent des mouvements désespérés, obstinés, tripes à l’air, niant l’évidence.

L’artiste chinois connaît sa calligraphie. Formé à l’école de l’Empire du Milieu, il peint à l’huile, mais porte en lui les «Quatre Trésors du Lettré», armes de prédilection du calligraphe chinois. Il choisit de nommer ses séries «Metamorphosis» et on ne peut qu’être renvoyé au grand poète romain Ovide et au mythe d’Orphée. C’est le pathos, le combat contre la mort et l’agitation veine, que l’on doit retenir ici.

Viennent alors à l’esprit les figures pompéiennes ensevelies, figées dans un dernier sursaut de vie, pétrifiées dans cette puissante volonté d’être. Viennent aussi à l’esprit les coureurs – cadavres décapités de Vladimir Velickovic, dont la vitalité «post-mortem» indique la même volonté de puissance qui n’est, selon le philosophe Michel Onfray,«…ni désir de domination ni aspiration au pouvoir, elle est un processus d’accroissement et d’accomplissement, d’être plus …» L’idiosyncrasie tragi-comique de nos amphibiens, dépasse un peu le drame par son côté «joker».

C’est du dépassement de la mort-en-tant-que-tragédie dont il s’agit ici: la grenouille ne fait qu’ajouter du burlesque dans ce mix existentiel, alors que la combinaison—naturalisme/calligraphie chinoise/cartoon, atteste du caractère universel du message. C’est donc de cela dont nous parle Shi Shaoping. Et il insiste, et il persiste et il signe.

Ces animaux, si étrangers à notre biologie, à notre physiologie, sont nous, bien sûr (autant qu’ils sont eux), notre avatar et notre métamorphose. Aussi (in)signifiants que nous, s’agitant pathétiquement dans un néant qui nous dépasse «big time», avec comme seule perspective la fossilisation, l’aplatissement, puis le recouvrement progressif par le temps éternel.

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