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Mémoire, mise en ordre, méditation

PElisa Fedeli
@21 Jan 2011

Aurélien Porte démontre à nouveau la liberté totale avec laquelle il embrasse toutes les techniques, bien qu'il soit avant tout peintre et préoccupé de peinture. Son univers peuplé de créatures grotesques invite à une rêverie douce-amère.

Pour sa seconde exposition personnelle à la galerie Lucile Corty, Aurélien Porte présente un ensemble de peintures, une sculpture et des objets avec une triple intention: «Mémoire du passé, Mise en ordre du présent, Méditation du futur».
Dans la vitrine du rez-de-chaussée, le visiteur est accueilli par un ensemble d’Å“uvres de petit format qui sert d’introduction à la visite. Disposé comme dans l’atelier, cet ensemble regroupe une lampe bricolée, un livre écrasé sous le poids d’une pierre, un morceau de stéatite — matière que l’artiste affectionne pour ses sculptures —, et enfin une sculpture peinte en mousse.

Peinture et Nature

Dans la nature, Aurélien Porte puise matériaux, motifs et textures. Faire dialoguer la nature et la peinture pour les mettre chacune à l’épreuve semble au cÅ“ur de sa pratique.
Au centre de la première salle, trône un tronc d’arbre aux sinuosités extraordinaires. Il semble donné à voir pour lui-même et célébré comme une création de la nature. Mais l’artiste a opéré sa métamorphose en le recouvrant de couleurs vives et diluées. Le vernis translucide se mêle ainsi à la texture du bois sous-jacent. Il vient la révéler, plutôt que la dénaturer.

Au mur, une peinture de grand format et de couleur brunâtre laisse à peine deviner des écritures tracées à la main, le titre TreeEarthFire, signifiant la rencontre des différents éléments. Recouverts comme pour les maintenir dans le secret, les mots sonnent comme une incantation à la nature.
Dans la peinture Perfect Your Touch — dont la largeur équivaut à celle d’un tronc d’âge moyen — Aurélien Porte a imité l’apparence de l’écorce d’un arbre. De courts traits verticaux se succèdent dans une belle harmonie de teintes orange sur fond brun. Bien qu’inspirés par la nature, les motifs reproduits sur la toile se muent en une grille et finissent par former paradoxalement une peinture abstraite, presque mathématique.

Peinture et lumière

Plusieurs travaux explorent les possibilités de la lumière. Déjà en 2009 avec la peinture Je me sentais comme face à une étoile au milieu d’un cosmos, Aurélien Porte s’était essayé avec brio aux effets du clair-obscur. Pour cette exposition, la question de la lumière est expérimentée de manière nouvelle, au moyen d’une installation électrique poétique. Il s’agit d’une ampoule qui projette sur le mur une auréole de lumière rosée. Cet effet est atteint grâce aux moyens de la peinture, l’ampoule étant peinte et le pourtour de son applique passé à la feuille d’or.

Créatures mythologiques

A l’étage, sont exposés cinq collages conçus à partir de reproductions d’autres Å“uvres de l’artiste. Les sculptures de têtes chimériques, réalisées en stéatite, sont en effet reproduites ici en noir et blanc, détourées et collées sur un fond coloré dont le graphisme évoque des courbes de niveau. Chaque sculpture est l’hybridation de plusieurs figures. Omniprésente, celle du moine y rencontre toutes sortes d’animaux. Les titres à rallonge les énumèrent: MonkyFalconMonkFrog, MonkeyBirdFishMonk, etc. Ils résonnent comme des phrases musicales, comme des mantras que l’on répète à l’infini pour convoquer le divin. Anthropozoomorphes, les créatures d’Aurélien Porte semblent tout droit sorties d’un livre de mythologies. Elles enchantent en même temps qu’elles éveillent nos peurs.
La stylisation naïve des faciès dénote de multiples influences, des cultures dites primitives (avec les yeux bombés, les narines réduites à de petites trouées) aux arts de la période gothique (avec le grotesque des gargouilles). Mais Aurélien Porte puise aussi de façon hétéroclite et décomplexée dans des univers non artistiques et populaires. C’est pourquoi le sien est si singulier.

Cette exposition nous invite à une rêverie douce-amère. Tel un chaman, Aurélien Porte nous ouvre les yeux sur les forces obscures qui régissent le monde.

Eclipse, 2011. Lampe, huile et feuille d’or. Diamètre 12 cm, tout avec ampoule 14 cm
— Tree Painting, 2009. Teck, huile, vernis. 146 x 100 x 60 cm
— Face To Face (CowMonkBird), 2010. Collage, huile, encre de chine. 100 x 65 cm, 110,5 x 76 cm (encadré)
— Face To Face (FalconMonkFrog), 2010. Collage, huile, encre de chine. 100 x 65 cm, 110,5 x 76 cm (encadré)
Flame Forest Mountain, 2011. Huile sur toile. 27 x 35 cm
— Mountain Flame Forest, 2011. Huile sur toile. 27 x 35 cm

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