LIVRES

Mel Bochner

Rétrospective de l’œuvre, des années 1960 à 1990. Exploration de l’espace et du lieu par des lignes noires de mesure courant tout autour des pièces, puis appliquées sur une toile peinte. Un travail qui étend la définition d’œuvre à tout ce que le spectateur peut percevoir.

— Éditeur : Frac Bourgogne, Dijon
— Année : 2002
— Format : 24 x 21 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 53
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-913994-06-7
— Prix : 12 €

À propos de peinture
par Hubert Besacier (extrait, pp. 10-11)

Tous les courants picturaux des années soixante ont en commun la volonté de se passer du sublime. Il ne s’agit pas seulement de détacher la peinture de son contexte, mais également de vérifier la légitimité des composants qui jusqu’alors passaient pour intrinsèques. Sont pris en compte le support, l’accrochage, l’addition continue ou discontinue des œuvres, la réalité plastique de l’espace entre les œuvres etc.

À partir de ce moment-là, le travail pictural pouvait être dissocié de ses attributs traditionnellement identitaires. Non seulement il pouvait se développer hors du tableau, mais a contrario, il était possible d’utiliser ces attributs comme de simples référents signifiant la peinture. Ce que l’on retient alors d’un phénomène aussi complexe que la peinture, c’est le système [Le mot est employé à l’orée des années 1970 par Marcelin Pleynet pour rendre compte des grands pans du modernisme : Matisse, Mondrian, Bauhaus], non pas symbolique, référentiel ou plastique, mais le système perceptuel.
Le grief de formalisme dont on taxe cette démarche est contradictoire puisque, justement, on dépouille la peinture de sa forme, de ses apparences fascinatrices pour en scruter les infrastructures.

Dans la première décennie de son œuvre, la pratique picturale de Mel Bochner s’efforce de travailler avec ce qui peut subsister de la peinture lorsque le mécanisme en a été démonté, avec ce qui perdure et résiste. Elle se rejoue dans l’intervalle de ce qui a été tiré au clair des phénomènes de la perception, de sa situation dans le temps et dans l’espace, de ses conventions, des conditions spatiales de sa lecture, de son décryptage, de sa reconnaissance, de son identification, c’est-à-dire ce qui détermine son existence et l’activation de son mythe. Ce qui revient à mettre à jour les données qui conditionnent et rendent possible la perception du phénomène pictural, ou comme le dirait Jean-Marc Poinsot, « les conditions d’avènement de l’œuvre, par la définition de ses limites, de son cadre, de ses circonstances. » [Jean-Marc Poinsot, Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés, Genève : Mamco; Villeurbanne : Institut d’Art Contemporain, Art Édition, 1999]

Et cela passe d’abord par la prise en compte de l’espace. Dans la récapitulation historique que propose Mel Bochner au Frac Bourgogne à Dijon [« Mel Bochner, Measurements : Works From The 196O’s/1990’s », Frac Bourgogne, Dijon, 16 septembre — 4 novembre 2000], deux étapes du processus sont associées : l’installation des socles minimalistes des Working Drawings occupent le centre de la salle blanche. Les murs portent à hauteur des yeux de l’artiste, une ligne noire, tracée à l’aide d’une bande adhésive que seules viennent interrompre à mi-chemin, les mesures en pieds et pouces de la longueur du mur qui la porte.
Nous sommes là en présence de l’une des Measurement Pieces (1969) : Eye Level Crossection Of Room.

La ligne à hauteur des yeux se contente de prendre acte d’une réalité factuelle. Autour de la peinture momentanément mise « entre parenthèses » apparaît la mesure du monde tel qu’il est. C’est-à-dire la prise en compte de la réalité spatiale telle qu’elle sert à articuler notre pensée vis-à-vis de la peinture. Car, comme chez Alice, la réalité du monde est une construction mentale éminemment variable.

L’œuvre s’organise moins autour d’une absence qu’à partir d’une présence virtuelle, potentielle, en creux, qui ne se manifeste plus que par des traces, des signes, des indices : celui d’une hauteur de regard, celui d’une appréciation de l’espace, celui d’un marquage… Et ce marquage, qu’on le veuille ou non, renoue avec la question fondamentalement picturale de l’horizon.

C’est une constante au cours des années soixante-dix chez Mel Bochner que d’explorer ainsi toutes les ressources spatiales, non seulement du lieu (la question du site est alors l’objet de toutes les discussions), mais également de ce qui se produit dans le positionnement des éléments graphiques et plastiques. Il recense toutes les figures possibles de l’entre-deux, de l’entre-limites, Seven Properties of Between (1971-1972), Center Estimated and Measured (1971), etc.

Quant à la Theory Of The Boundaries, elle fait déjà intervenir la question des jonctions, en ayant recours aux mots de liaison. Dans ce premier temps des Measurement Pieces, le mur est d’abord ce qui définit l’espace et l’objet de la mesure. Il participera ensuite de la peinture proprement dite, lorsque Mel Bochner, à la fin des années soixante-dix, l’utilisera directement comme support de la couleur (Apsides, Azimuth, Apogée, 1978, Syncline, (1979). Enfin, il jouera un troisième rôle, plus complexe, comme support du châssis, lorsque c’est le tableau lui-même qui portera les indications de la mesure.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Frac Bourgogne)

L’artiste
Mel Bochner est né en 1940 à Pittsburg, Pennsylvanie. Il vit et travaille à New York.