ART | CRITIQUE

Me and a German Girl

PCéline Piettre
@03 Juil 2011

Clôturant la saison 2010-2011 de la galerie sur l’initiative du commissaire d'exposition Jonathan Chauveau, l’artiste Rada Boukouva nage à contre courant d’un certain retour du savoir-faire dans l’art contemporain, et nous séduit par un travail aussi léger que déroutant.

Qu’est-ce qui peut bien nous charmer à ce point chez l’artiste bulgare Rada Boukouva et son art du presque rien, aussi élémentaire que dérisoire? Son esthétique du pauvre, du sans-le-sous, qui privilégie les matériaux les plus insignifiants, le bricolage au détriment du savoir-faire, les histoires drôles plutôt que la grande. Un travail qui, si l’on s’en tient à l’exposition présentée actuellement chez Patricia Dorfmann, a l’air de prendre tout à la légère y compris lui-même!

On est d’abord, et surtout, fasciné par cette ingéniosité enfantine, à l’origine d’analogies formelles simplissimes mais insolites: un sac poubelle de couleur bleu plié dans sa longueur et délicatement encadré en guise de Coucher de soleil sur l’eau, de précieuses têtes de mort en bonbons acidulés (ou la version fauchée du crâne en diamants de Damien Hirst), un corps féminin résumé par trois triangles de carton grossièrement découpés en lieu et place des seins et du pubis, des ballons à l’hélium en train de se dégonfler pour une allégorie du temps qui passe et de l’enfance perdue…

Pour l’artiste, l’art est bagatelle, jeu sur les formes et les couleurs, mais encore bon mot ou calembour, sens de la répartie, plaisanterie bien placée, taquinerie mordante. Si les piques visent les comportements sexistes ou matérialistes, si ses œuvres se moquent des genres de l’art occidental — vanités, paysage, nus et vestiges archéologiques (cf. les deux pieds plâtrés dépossédés de leur propriétaire, écho lointain aux fragments antiques tant convoités par les collectionneurs), on ne perçoit chez elle aucun cynisme. Juste une ironie amusée, une poésie légère, modeste, tendre.

Inaugurant et clôturant discrètement l’exposition, la photographie en noir et blanc Me and a German Girl, où l’artiste âgée de onze ans apparaît en compagnie d’une amie sur une plage de la Mer Noire, est le manifeste implicite de l’œuvre.
La pose est naturelle. La prise de vue n’a d’autres ambitions que de satisfaire au plaisir de l’instant et à la joie anticipée du souvenir. L’intuition et la spontanéité reprennent leur place au cœur du processus photographique.

Rada Boukouva semble ainsi revenir à un art d’avant la technique, à un langage rudimentaire, brut et brutal. Les œuvres qu’elles créent, fortement chargées d’affect, hésitent entre le signe, le symbole et le fétiche, sans jamais décoller du banal.

Et comme souvent chez les artistes de la galerie Patricia Dorfmann (de Lionel Sabatté à Baptiste Debombourg en passant par Raphaël Boccanfuso), son travail, par son indigence et sa simplicité, est une forme de résistance passive à la productivité et à l’économie de l’art, une tentative conceptuelle et réjouissante de sabotage.

Å’uvres
— Rada Boukova, De l’illusion, 2010. Néon, aluminium, cables électriques, transformateur. 250 x 90 x 10 cm
— Rada Boukova, Bikini, 2009. Carton, scotch. 95 x 95 x 0.5 cm
— Rada Boukova, Sans titre (retouche), 2010. Tirage argentique contre- ollé sur medium, silicone. 68 x 50 cm
— Rada Boukova, Vanitas, 2007. Bonbon sucre-sel, clous.
— Rada Boukova, Still Life, 2009. Ballons en mylar, hélium. Dimensions variables
— Rada Boukova, Au pays des cubes, 2007. Sac plastique, colle. 55 x 42 cm
— Rada Boukova, Le Flambeau dans l’oreille, 2010. Bois contre-plaqué. 270 x 125 x 1 cm

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