ART | CRITIQUE

Maurice Blaussyld

PHélène Sirven
@12 Jan 2008

A l’invitation de la Galerie Le Sous-Sol, le peintre Maurice Blaussyld montre un ensemble de pièces dans les ateliers de prêt-à-porter d’Agnès b. Les travaux exposés dans cet espace forment une unité cosmique, spatiale et spirituelle, une alchimie qui prend ses sources chez Dürer, Beuys, Vinci, autant que chez Robert Bresson et surtout Joyce. Oeuvre qui se veut impénétrable, sans commencement ni fin; œuvre exigeante, harmonieuse, désignant le divin dans l’humain; l’œuvre de Blaussyld garde son autonomie, son ouverture au monde.

A l’invitation de la Galerie Le Sous-Sol, Maurice Blaussyld, peintre, montre un ensemble de pièces dans les ateliers de prêt-à-porter d’Agnès b., 17, rue Dieu, où un espace d’exposition est aménagé. En contrepoint, deux petites photographies sont présentées sur les murs blancs de la Galerie Le Sous-Sol, rue de Charonne.
Blaussyld considère les travaux exposés dans cet espace comme une unité cosmique au sens où l’entendrait Malevitch. Le lieu est constitué de trois grands fragments d’espaces blancs, dépouillés, humbles, où des pièces sont installées très précisément, pour ne pas dire géométriquement. Le visiteur est invité à marcher dans l’espace offert à son regard, à sa pensée, à son mouvement. Quelques jours après le vernissage, l’artiste n’a pas hésité à modifier Le Vent, premier fragment d’espace, en retirant un écran posé au sol, objet qu’il a jugé au fond trop formaliste, perturbateur.

C’est un moment précis du film muet du réalisateur suédois Sjöström intitulé précisément Le Vent (1928) qui a « influencé » Maurice Blaussyld — il donne au mot « influence » les sens de « flux », « communication totale », « écoute de l’autre », ou « admiration ». Dans le film, des gens vont se réfugier dans une sorte de tombe pour se protéger d’une tornade. Une porte est là (on en retrouve la forme exacte, aux mêmes dimensions, dans le panneau de bois aux douze compartiments ici posé simplement contre le mur blanc). « C’est le passage fluide et alterné des êtres allant de l’extérieur vers l’intérieur et vice versa, dans un rythme tellement équilibré et harmonieux que le mouvement paraît simultané. L’ouverture de la porte, cette structure statique par sa forme mais dynamique par son mouvement se révèle comme principe générateur d’un souffle, d’une respiration. Les êtres sont l’organique, le vivant ; et la porte figée cristalline » (Flux News).

L’unité spatiale et spirituelle présentée chez Agnès b. est une alchimie qui prend ses sources dans l’œuvre de Dürer, de Beuys, de Vinci (que les photographies médicales d’autopsie rappellent), mais qui évoque aussi directement Robert Bresson, « qui peint avec la science cinématographique », et surtout Joyce, dont on peut lire sur les tables des extraits de Finnegans Wake saisis d’une manière aléatoire. Blaussyld a écrit (dessiné) à l’encre sur de simples feuilles les mots en anglais, constatant que certains de ces mots (comme « encre », mais peut-être aussi « un temps présent continu s’intégumente lentement dépliant toute l’histoire ») ont un rapport direct avec les pièces installées dans l’espace de la rue Dieu. L’ensemble des tables portant leurs feuilles de textes, dans le deuxième espace, autant que l’agencement mesuré des pièces et des textes du troisième et dernier espace, permettent au visiteur de ressentir plus profondément encore le silence et la nécessité du dénuement.

L’œuvre de Maurice Blaussyld est impénétrable, dit-il, mais pour mieux accueillir le regard intérieur du visiteur. Pas de commencement, pas de fin. Il n’y a rien à expliquer, ces trois espaces réunis sont en fait une grande peinture, posée là, épurée, espacée, dont les éléments, également constituants spirituels, sont distingués ; la peinture se définit alors comme signe de la présence de l’être, manifesté à travers le temps par supports, textes, dessins, matières, densité et épure. Pour l’artiste, la multiplicité permet d’atteindre l’unique. Et pour atteindre une forme pure, l’invisible, il veut peindre tout le tangible. L’art relève de la mystique, il devrait être la véritable religion, dit Blaussyld, qui aime à citer Van Eyck, Maître Eckart, mais aussi Rimbaud, Mozart et Nietzsche.

L’ensemble présenté 17, rue Dieu (le 17 fait aussi référence aux Tarots), chez Agnès b., n’est ni un spectacle, ni une exposition ; Maurice Blaussyld le nomme « la parole de Dieu ». Ce qu’il dit est indissociable de son œuvre, une œuvre directe, en devenir, en dehors des catégories, inscrite dans le vivant, donc en incessante transformation. Exigeante, dans le sens ouvert par Beuys, anthropologique, harmonieuse au sens des grands humanistes de la Renaissance, désignant le divin dans l’humain, l’œuvre de Blaussyld garde son autonomie, son ouverture au monde. Avec générosité, rigueur, fluidité, Maurice Blaussyld ne cesse de redéfinir un processus spatial et temporel au cours duquel des liens créateurs avec celui qui s’engage dans son rapport au réel s’établissent pour ainsi dire « naturellement » par la peinture. Entièrement.

Dans les ateliers Agnès b. (17, rue Dieu).
L’espace de l’exposition est divisé en trois unités qui forment un tout :
— Le Vent, 1998-2002. Ensemble composé de trois pièces : 1° un panneau de bois en douze parties ; 2° une enceinte acoustique évidée, août 1987, peinture vinylique noire, bois, métal, 110 x 76,5 x 61 cm ; 3° une table, peinture vinylique sur stratifié blanc, pieds métalliques, trois dessins et une peinture posés (formats A4) sur la table.
— Six tables disposées dans l’espace de manière à former un hexagone. Sur chaque table trois feuilles de textes manuscrits, sur l’une des tables deux feuilles de textes manuscrits et un dessin. En tout 16 textes manuscrits et un dessin (formats A4). Dimensions des tables 110 x 76,5 x 61 cm.
— Cinq pièces :
Sans titre, août 2001. Enceinte acoustique évidée, peinture vinylique noire, bois.
Sans titre, nov. 2001. Enceinte évidée, peinture vinylique noire, bois.
Tu as voulu tout régler selon la mesure, le nombre et le poids (Dürer), 1998. Granit.
Deux textes imprimés, format A4.

A la Galerie Le Sous-sol.
— Deux photographies: Sans titre, 1989-2002. Photographies d’autopsie, noir et blanc. 8,1 x 12,8 cm et 8 x 8 cm.

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