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Matières à Cultiver

Yves Gradelet, commissaire de l’exposition et scénographe, est architecte de formation ; il a dirigé une équipe pluridisciplinaire et polyglotte pour choisir des objets venus du monde entier…

L’Eco-design est une réalité historique que pratiquent sans le nommer les designers des pays d‘Europe du Nord depuis toujours, sensibilisés par nature à l’utilisation du bois, disponible en grande quantité. Le brevet de cintrage du bois est déposé par l’entreprise autrichienne Thonet en 1850, les études de design ergonomique sont menées par l’architecte danois Kaare Klint en 1916, la production de mobilier en bois courbé de l’architecte finlandais Alvar Aalto est commercialisée par Artek dans les années 30, les basiques en bois de la société suédoise Ikea sont diffusés depuis les années 50, et la tradition se poursuit.

Les pays émergents dans l’utilisation du bois sont les pays en voie de développement valorisés par leur artisanat et leur savoir-faire, remis au goût du jour par des décorateurs qui proposent la tendance ethnic-chic, un mix des cultures du monde. La vannerie, le tressage viennent des Philippines, d’Indonésie, d’Afrique…
La France, n’occupe dans cette vaste fresque qu’une bien faible place.

La mise en œuvre scénographique  de l’exposition du VIA sur 500m² est une véritable gageure ; il s’agit d’un chemisage de l’espace, une voûte en tension fabriquée en tressant des bambous venus d’Anduze dans le Gard. Un procédé constructif de taille monumentale qui utilise les qualités de souplesse et de résistance du matériau, une vannerie à grande échelle, un défi extrêmement audacieux (15 jours de travail avec une équipe de six personnes).

Le titre de l’exposition Matières à Cultiver se focalise sur la matière vivante, la matière naturelle. Le VIA produit chaque année un travail en collaboration avec la matériauthèque du FCBA, un institut technologique, qui valide l’innovation. La mission du VIA est de présenter les applications des différents procédés et de rendre intelligible les matériaux et leur mise en oeuvre. Un lexique est donc mis à disposition des visiteurs. Il égrène un inventaire à la Prévert qui de « Abrasion » à « polymérisation » définit les techniques, de « Aggloméré » à « Papier » établit les dérivés du bois, de « démarche HQE » à « renouvelable » désigne les objectifs de l’éco-design.

L’exposition se divise en trois espaces distincts et traite du bois dans tous ses états.
Les projets en bois brut, en bois massif, traités de manière traditionnelle, avec le tabouret Plank de Thomas Heathwick, le Log  de Patricia Urquiola, ou la baignoire Zendera assemblée à queue d’arondes de Paolo Chipiron ; l’assemblage de contreplaqué d’essences différentes pour un guéridon de Frank Heerema ; le contreplaqué courbé et découpé pour la table Butterfly de Alex Taylor ; des tiges de sycomore assemblées lors de la pousse pour le tabouret Grownup  de Christopher Cattle.
Les écorces sont traitées en collage traditionnel, avec les chutes de liège de la chaise longue Cortica de Daniel Michalik, les fibres avec le rotin naturel magistralement mis en œuvre par le designer philippin Kenneth Cobonpue dans sa Lolah Easy Armchair et sa Yoda Easy Chair.
Les arts de la table sont conçus avec des matériaux tels que le bambou huilé, la feuille de palmier ou le bois liquide, comme la corbeille à fruits en bambou tressé et corde du studio Eno.

La recherche touche également les dérivés du bois : le papier, que Anthony Brozna utilise pour les montants de sa chaise Paperstone, le kraft et le carton sont aussi prétextes à des créations domestiques. D’autres matériaux biologiques sont envisagés par les designers : la paille collée, les algues agglomérées. Quelques produits textiles sont exposés, réalisés à partir de la fibre de cyprès, le bambou, le soja, l’ortie, le chanvre, le pin, la poudre extrudée de maïs, enfin l’écorce de ficus malaxée. Le tapis Tokoit de Kristian Gavoille en fibre de soja revêt la douceur de la soie.
François Azambourg s’est approprié une technique ancestrale, il utilise le jus de kaki qui a les mêmes propriétés que l’oxyde de cuivre pour rendre les meubles imputrescibles.
La récupération de matières perdues fait aussi partie du processus d’éco-design, le bois flotté du canapé Louis Crusoé de Franck Lefebvre, la balle de riz des récipients édités par Napac.

Les objets s’épanouissent dans l’espace avec des formes d’une douceur et d’une sensualité inspirées des courbes biomorphiques. Ils racontent une histoire poétique : la maisonnette à oiseaux constituée de graines et de graisse, par l’atelier Oï (Suisse) ; l’écriture des talentueux designers Cordoleani & Fontana avec Trame de semis, un filet nature ; les tomettes compost Iris ; les bols constitués de fibres et d’huiles issues de matières naturelles — romarin, thym, thé vert et café — de Matthijs Vogl qui flattent le regard, le toucher et l’odorat.

Les productions présentées sont issues pour la plupart d’une production artisanale, le designer fait chaque jour le constat amer que l’enjeu environnemental, pourtant prioritaire dans les textes, n’est qu’une stratégie d’image et de marketing pour les entreprises. Elles sont rares dans la sélection du VIA : Camper, Ikea, le Coq sportif, Cappellini, Roche-Bobois, Ligne Roset, Vitra, Zanotta…Ce vaste panorama international de 154 objets est essentiellement instruit des gestes et des réflexions d’artisans qui ont l’espoir de jours meilleurs. La noblesse de leurs intentions se heurte à l’incompatibilité des enjeux économiques ; gageons cependant qu’avec des initiatives telles que celle du VIA, les entreprises sauront apprécier l’incroyable force de proposition induite par ces projets.

— Patricia Urquiola, fauteuil Log. Artelano. Structure en hêtre naturel, fourrure à longs poils d’agneau de Mongolie.
— Atelier Oï, mangeoire Birdhouse. Graines, liant alimentaire.
— Daniel Michalik, chaise longue Cortica en liège découpé et assemblé en forme.
— Kenneth Cobonpue, Yoda, easy chair. Rotin naturel tressé.
— Kristian Gavoille, tapis Tokoit. Tai Ping. Fibre de soja.