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Martin Creed

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Work No. 330 de Martin Creed consiste à recouvrir le sol de la galerie de 3000 carreaux différents. Le dallage ressemble à un patchwork bariolé que l’on peut investir.

Martin Creed sort auréolé du Turner Prize qu’il a obtenu en 2001. Cette récompense lui ouvre désormais les plus grands musées du monde. Ce plasticien britannique aime investir l’espace, il aime jouer avec l’architecture, les compositions qu’il entreprend de créer sont moins des contraintes que des règles qu’il instaure pour jouer avec le public. Si l’art est un jeu, alors les pièces de Creed sont des matchs de ping pong. Le spectateur ne peut rester passif, il est obligé de renvoyer la balle artistique.

L’espace se transforme pour devenir un rythme, une onde, un métronome, une cadence, l’impulsion est déterminante dans un grand nombre d’œuvres. Comme une partie qui s’engage il faut compter les points, les jeux, les sets. Le lieu peut s’éclairer toutes les cinq secondes avec l’aide d’un minuteur. La psalmodie, le leitmotiv entre les murs et le public est donné par la numérotation des pièces produites.
Depuis 1987 l’artiste numérote scrupuleusement ses œuvres, cette succession de nombres donne une cohérence et une progression à l’ensemble de son travail. Comme un livre ouvert en train de s’écrire, les pages se succèdent au fil de nos lectures successives.

L’opus présenté porte le numéro 330. Le sol de la galerie a été entièrement recouvert d’un carrelage composé d’une multitude de carreaux. L’ensemble est bariolé et donne au sol un aspect en damier. Le résultat ressemble à un échiquier baroque, mais la facture se rapproche plus du côté du Rococo. L’hétérogénéité du projet, sa fantaisie, le porte naturellement vers la légèreté, vers une pratique sans complexe ni tabous.

Le motif obtenu, ce dallage de 3000 carreaux, peut rappeler les sols carrelés de jambon et de salami de Wim Delvoye. L’artiste belge cultive le goût de la scarification, du tatouage, de l’inscription. Son plancher de charcuterie, Marble Floor (1999), est à mettre en parallèle avec son travail de tatoueur sur cochon, ou son travail de sculpteur de montagne.
Chez le britannique, l’humour n’est certes pas absent, mais il n’est pas aussi féroce, ni aussi irrévérencieux. Une de ses interventions en galerie s’est soldée par l’accumulation de plusieurs centaines de ballons de toutes les couleurs. Les photos du vernissage montrent les visiteurs ensevelis sous des ballons baudruches, le tout finissait dans le caniveau de la rue.

Work No. 330 fait référence à cette culture du lieu et du rapport qu’il instaure avec les gens. L’art chez Creed est un jeu, cela veut dire qu’il est non seulement ludique mais qu’il implique également des règles qu’il faut respecter, la partie peut alors se jouer et le spectateur peut s’impliquer dans des constructions mentales et physiques : le jeu devient alors un je. Le ping pong peut alors commencer entre la pièce — ici un dallage bigarré — et le je pluriel.
Loin des instrumentations et des dispositifs contraignants des années 70, le spectateur est laissé à lui-même, il peut expérimenter sans contraintes l’esplanade qui lui est offerte. A l’intérieur de ce ring tous les comportements sociaux et artistiques sont possibles.

L’art est un jeu et il se joue à plusieurs. Ce nouveau sport artistique n’est pas individuel ou collectif, aucune équipe ne s’affronte, c’est à ce prix que le je peut commencer.
Récemment la galerie Perrotin exposait l’artiste Polonais Piotr Uklanski qui avait, avec Dance Floor, recréé une piste de danse de boîte de nuit avec son sol lumineux et coloré.
L’artiste mexicain Gabriel Orozco a déjà découpé deux tables de ping pong pour en créer une seule en forme de croix. Au centre, il a aménagé une petite mare où flottent des nénuphars, la partie se transforme en parcours de golf, il faut parvenir à jouer par-dessus le bunker aquatique.

Martin Creed fait partie de cette génération qui s’amuse avec nos espaces, il transforme les contraintes architecturales en jeu, la rigueur du lieu devient un parcours qu’il faut explorer.

Martin Creed
Work No. 330, 2004. 3000 carreaux posé sur le sol. 

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