ART | CRITIQUE

Marthe Wéry

PMaxence Alcalde
@12 Jan 2008

Centrée sur le monochrome, l’œuvre de Marthe Wéry s’éprouve dans la frontalité la plus intime, dans l’interaction entre la peinture et le corps du spectateur. Une preuve que la peinture n’est pas épuisée, et que le monochrome garde toute son actualité.

Nous avions déjà remarqué les œuvres de Marthe Wéry lors de l’exposition de groupe Pause organisée par Eric de Chassey à la galerie Cent8 au printemps dernier. Aujourd’hui tout l’espace de la galerie lui est consacré.

L’exposition des œuvres de Mathe Wéry apparaît comme une suite de fragments, d’expériences chromatiques entrant en résonance avec l’architecture du lieu. L’œuvre se déploie sur les murs de la galerie comme autant de ponctuations picturales à la fois autonomes et très logiquement imbriquées.

Ce qui est proposé à notre regard oscille entre des monochromes impeccablement uniformes, de la peinture étalée et diluée sur le support, des couleurs ternes ou étincelantes. L’excitation visuelle est proche de celle provoquée par les œuvres des artistes de prédilection de Marthe Wéry — Rothko, Noland, Newman —, ou du peintre contemporain Bernard Frize avec qui elle a plusieurs fois exposé (en 1997 au Parvis de Pau, et en 2002 à la galerie Micheline Szwajcer à Anvers).

L’ensemble le plus troublant de l’exposition est assurément celui des peintures rouges qui oscillent entre l’évocation du sang et celle des tonalités sombres de Rothko. Les monochromes se déploient en une fugue chromatique sensuelle, en une alternance d’attirances et de répulsions. Les œuvres de Marthes Wéry se lisent comme un texte, ou plutôt comme des séries de textes auxquels le rassemblement confère toute leur envergure.

L’œuvre de Marthe Wéry suscite un sentiment d’étrangeté, comparable à celui que l’on peut éprouver dans le film Vidéodrome de David Cronenberg. Un homme fasciné par le pouvoir des médias découvre petit à petit le monde souterrain du petit écran. Sa vie bascule alors jusqu’à la scène d’anthologie où il pénètre dans les viscères de l’écran de télévision devenu vivant ; où la machine se réveille pour happer le spectateur et lui faire perdre tous ses repères dans le monde «réel».
C’est cette esthétique à la fois rigoureuse, comme peut l’être le monochrome, et organique, comme peut l’être la peinture, qui fait se rejoindre l’œuvre de Marthe Wéry et celle de David Cronenberg. Vertige jouissif que l’on voudrait raisonnable et qui nous dépasse, non pas dans la démesure du monumental, mais dans la perte de contrôle dans laquelle nous sommes plongés.

La difficulté à circonscrire l’œuvre de Marthe Wéry vient de ce qu’elle s’éprouve avant tout dans la frontalité la plus intime, dans l’interaction entre la peinture et le corps du spectateur. L’expérience proposée par l’artiste est unique. Elle atteste que la peinture n’est pas épuisée, qu’elle n’a pas développé toutes ses possibilités, et que le monochrome garde toute son actualité.

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