ART | CRITIQUE

Marrella splendens

PMarie-Jeanne Caprasse
@27 Mar 2012

Hasard et poésie, Lionel Sabatté est un artiste de l’expérimentation mais aussi de la fantasmagorie. Ses animaux aux couleurs oxydées évoquent des chimères d’un autre temps. Lâcher prise et restructuration d’un univers, il nous entraîne dans un voyage au plus profond de son imaginaire.

Faire parler la trace, la tache, la poussière, les résidus. C’est tout un art médiumnique sur lequel se concentre la pratique de Lionel Sabatté. Puissamment lié aux forces de la nature, au monde animal et végétal, au monde des hommes mais aussi surtout celui des esprits, l’artiste n’a de cesse de dialoguer avec la matière.

Il cultive l’imprévu et l’incongru: il sculpte avec de la poussière ou des morceaux d’ongle ou de peau de pieds, il mélange les matériaux pour faire craqueler la peinture, il s’amuse à oxyder une solution à base de fer pour jouer avec les effets de matière provoqués.

Lionel Sabatté est un artiste de l’expérimentation mais aussi de la fantasmagorie. Ses animaux aux couleurs oxydées évoquent des chimères d’un autre temps, les teintes sont minérales et la matière formée suggère la rugosité de la peau. On reconnaîtra la forme générale d’un poisson des profondeurs abyssales, d’un dodo ou d’un sauriens. Mais, figures dans la figure, on distingue également de petits êtres qui semblent camouflés en surface. Est-ce la trace de l’esprit du temps ou la fantaisie rêvée de l’artiste qui pénètre les êtres qu’il engendre ?

Les titres donnés aux œuvres indiquent une projection toute personnelle de l’artiste dans une tentative de donner forme à des taches qui peuvent sembler aléatoires. Même s’il travaille la matière, n’hésitant pas à puiser dans le registre de l’abstraction, il reste attaché à la figure.
Dans la peinture Le Multicéphale chou-fleur des profondeurs, notre regard s’accorde effectivement à découvrir une forme de chou-fleur mais aussi de poisson des eaux froides. On trouve ce que l’on cherche. C’est dans cette même logique d’appropriation de la forme, qu’il fait surgir ça et là un détail bien dessiné comme un gobelet ou une allumette.
Ainsi, il donne une impulsion de sens, d’histoire racontée par le tableau, sans pour autant nous projeter dans le monde réel. Dans la série de grands tableaux exposés ici, les repères sont flottants et c’est comme si à la surface du tableau, deux dimensions venaient se rencontrer : celle de la tache qui explose ou s’étend, et celle de l’objet hyper figuré.

Son mode opératoire fonctionne tout particulièrement lorsqu’il crée avec du presque rien, des résidus produits par l’homme comme la poussière ou les peaux de pieds. La fragilité de ces objets et leur côté dérisoire leur donne une valeur émotionnelle liée à leur signifiant de vie et de mort. Ce sont des vanités contemporaines qui parlent à notre condition, à travers tous les temps.

Å’uvres
— Lionel Sabatté, AO15. 2012. Solution à base de fer, solution oxydante et acrylique sur papier Arches. 46 x 61 cm
— Lionel Sabatté, Le fuyant regarde la tortue. 2011. Acrylique, huile et vernis sur toile. 130 x 160 cm
— Lionel Sabatté, Pigment, 2011. Acrylique, huile et vernis sur toile. 130 x 195 cm
— Lionel Sabatté, La colombe des profondeurs. 2011. Acrylique, huile et vernis sur toile. 89 x 130 cm
— Lionel Sabatté, Ephémère (ephemeroptera). 2012. Peau de pied (corne) et ongles. 10 x 8 x 4 cm

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