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Marie-Christine Blandin

Julie Aminthe. Le gouvernement Sarkozy veut appliquer une baisse des crédits de 34,1 millions d’euros pour la mission culture. Le Sénat s’en inquiète, mais la machine à écraser les artistes semble être lancée. Le monde de la culture sera donc l’un des premiers touchés par la politique d’austérité défendue par l’actuel président. Quel est votre regard à ce propos?
Marie-Christine Blandin. Ce n’est pas une surprise, ni une nouveauté! Que fait la droite quand elle s’occupe de culture? Elle prive de moyens l’archéologie préventive, elle ruine le régime de l’intermittence, elle défend les intérêts des éditeurs phonographiques et des éditeurs de films plus que les auteurs, elle freine la fluidité sur internet, elle met au pain sec les associations d’éducation populaire, et applique sa RGPP (révision générale des politiques publiques) en supprimant des postes!
On supprime la publicité sur France télévision sans aucune concertation sur le financement à retrouver. Un conseil de la création artistique est créé, pour permettre au Président de la République de passer outre les compétences des services de l’Etat, et remettre le fait du Prince au goût du jour.
La réforme des collectivités locales couplée à la RGPP a réduit dans les faits non seulement le nombre de salariés du ministère et des Dracs, mais a étranglé les collectivités locales et territoriales, premier financeur public de la culture après l’Etat.
Dernière initiative en date, la création du Centre national de la musique, qui préfigure un démantèlement du ministère de la Culture pour une organisation en agence des financements, quasiment exclusivement dirigée vers les industries culturelles, au détriment de l’éducation artistique et de l’action culturelle.

Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) a réagi immédiatement à l’annonce du refus du dégel des crédits 2012 (moins 6%, à savoir moins 47 millions consacrés à la création) alors même que Nicolas Sarkozy l’avait promis lors de ses vœux à la culture. Comment lutter face à un tel désengagement du pouvoir? Et comment l’interprétez-vous?
Marie-Christine Blandin. J’ai été moi même choquée d’entendre en novembre dernier, de la bouche de celui qui coupe les budgets, le président de la République, que: «la culture est un investissement qui va nous permettre de sortir de la crise, et non une dépense qu’il faudrait couper», pour constater que quelques mois plus tard il faisait le choix de réduire les crédits, entrainant des conséquences graves pour l’ensemble des acteurs de la culture, tant en termes d’emploi que de programmation, et de pérennité de certaines structures.
Le gouvernement actuel voit la culture à travers le prisme de la RGPP, programme qui déboussole totalement les acteurs culturels. L’Etat ne peut échapper à son devoir de financeur et de garant de la création et de la diffusion sur l’ensemble du territoire.
Je pense par exemple qu’il devient urgent de mettre fin au pouvoir d’experts désignés de manière opaque par le ministère de la Culture pour attribuer les financements à la création et dont les choix ne défendent que très peu la diversité culturelle française.

Les Verts sont mobilisés contre le traité anti-contrefaçon Acta. Selon vous, pourquoi cet accord est une menace sérieuse pesant, entre autres, sur les créateurs?

Marie-Christine Blandin. Europe Ecologie-les Verts est fermement opposé à Acta. Sous couvert de lutte contre la contrefaçon, il s’agit surtout de mettre les ressources des Etats au service d’une poignée de multinationales en situation de monopoles.
Le texte a été rédigé à huis-clos sans aucune concertation, sinon sans doute celle des lobbies, et là encore l’Europe a un rôle majeur à jouer, puisque c’est au Parlement Européen qu’est posée la question de ratifier le traité.
La mobilisation de tous les acteurs est aujourd’hui nécessaire pour refuser Acta, au nom de l’intérêt général. Face aux enjeux de la société numérique, à l’urgence de la transition écologique et à la profondeur des transformations de notre économie, les questions de l’innovation et de l’accès aux savoirs font pleinement partie du débat démocratique.
Europe Ecologie-les Verts a été le seul parti à garder une ligne constante contre tous les textes: Dadvsi (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information), Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) 1, Hadopi 2, en affirmant son attachement à la rémunération des créateurs, mais en démontrant que les mécanismes proposés n’étaient ni efficaces, ni innocents vis-à-vis des libertés.

Eva Joly propose de mettre en place une contribution créative. De quoi s’agit-il exactement?

Marie-Christine Blandin. Notre objectif chez les écologistes est d’une part de légaliser le partage non marchand sur Internet et d’autre part d’instaurer un mécanisme de collecte et de redistribution d’une contribution à laquelle participeront internautes et fournisseurs d’accès à Internet.
Dans un premier temps, la légalisation du partage non marchand sur Internet permettra la reconnaissance du partage sans but de profit entre les individus, le partage non marchand de la culture ayant existé de tout temps.
Quant à la contribution, cette dernière permettra d’accroitre les financements à la création, notamment le soutien aux jeunes créateurs, aux créateurs précaires ou bien au tiers secteur culturel.
Cette contribution pourrait s’élever à 1€ par abonné et par mois pour les fournisseurs d’accès à Internet et à environ 4€ pour les internautes. Ainsi, cette contribution rapporterait près de 1,34 milliards d’euros par an. Pour comparer, la redevance audiovisuelle, qui s’élève à 125€ par an, revient à environ 10€ par mois. Bien entendu, les personnes disposant de faibles ressources se verraient appliquer une contribution réduite.

En quoi la culture est un enjeu majeur aux yeux d’Europe Ecologie-les Verts?
Marie-Christine Blandin. Pour les écologistes, la culture est un bien commun, en construction permanente, qui fait humanité: lien actuel et trace du passé, épanouissement présent et outil pour demain. Les savoirs transmis depuis des millénaires, les langues, les relations entre sexes, entre générations, les soins, la prise en compte des différences, la production de connaissance, l’art, les pratiques culturelles, l’éducation artistique; cela aussi, c’est le bien commun, et ce n’est pas dissociable de la préservation de la planète, puisqu’il s’agit de la préservation de ses habitants.
Sur une planète très peuplée, soumise aux bouleversements climatiques, aux tensions accentuées par la rareté des ressources, il est évident que tout ce qui n’est pas «cultivé» nous emmène vers la peur de l’autre, l’égoïsme, le racisme, la guerre ou la barbarie.
C’est pour toutes ces raisons que nous donnons à la culture une place centrale dans notre projet: soit nous nous égorgeons pour le dernier litre de pétrole, soit nous créons collectivement une société sobre, dans laquelle le plaisir de l’échange dépasse celui de consommer, une société de partage qui s’appuie davantage sur la coopération que la compétition.