Christophe Salet. L’une de vos toutes premières créations, la chaise La Pliée, est actuellement exposée au Centre Pompidou dans le cadre de Via Design 3.0. Comment est né ce projet ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. Je l’ai commencé lorsque j’étais encore à l’ENSCI Les Ateliers, en utilisant une presse plieuse. En observant cette machine et ses possibilités, je me suis intéressée à l’assemblage par le pli, c’est-à -dire la possibilité d’assembler deux pièces de métal par un pli écrasé. Le point de départ était donc d’imaginer comment créer un objet avec une seule machine, comment utiliser une technique ou une logique de construction et la pousser jusqu’au bout. J’ai expérimenté beaucoup de choses, en tentant de trouver un équilibre entre ce que je pouvais imaginer autour de ce principe du pli et ce qu’il était possible de faire… J’ai rapidement commencé à travailler autour de la chaise et j’ai réalisé un prototype, toujours à l’école.
Que s’est-il passé ensuite ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. J’ai présenté l’appel à projet Via, et j’ai été sélectionnée. Pendant 6 à 8 mois, j’ai travaillé sur nouveau prototype qui a été exposé sur le stand du Via au salon du meuble de Paris, en janvier 2007. C’est là que j’ai rencontré Michel Roset…
… qui a décidé de l’éditer. Qu’avez-vous tiré de cette première expérience de production industrielle ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. Cela m’a permis de me rendre compte qu’entre le prototype et l’industrialisation, il y avait beaucoup de mises au point et de choses à régler. Ligne Roset m’a apporté sa connaissance des exigences du marché. Ensemble, on est vraiment allé dans le détail : par exemple, on a ajouté un patin pour ne pas abîmer les sols, ou un coussin pour donner davantage de confort, pour ne pas être en contact avec le métal. On a aussi légèrement arrondi le dossier pour que le dos soit mieux soutenu et on a travaillé sur la résistance de la chaise. Au début, je voulais qu’elle soit très légère, donc je l’avais faite en aluminium, avec des épaisseurs de tôle très fines. Mais c’était trop fragile pour un usage quotidien. La version commercialisée est donc en acier…
Le support dossier, en ailes d’avion obliques, évoque la chaise Standard de Jean Prouvé. Est-ce une inspiration de départ ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. L’origine de ce choix est d’abord structurelle, liée au métal et à la technique du pliage. Cette forme permettait d’obtenir une rigidité qui était difficile à obtenir autrement. Bien sûr, lorsque je suis arrivé à cette solution, j’ai pensé à Jean Prouvé. Et comme cette filiation me plaisait, j’ai continué dans ce sens.
Cette collaboration avec Ligne Roset a donné lieu à une collection…
Marie-Aurore Stiker-Metral. Oui, l’année suivante. J’avais déjà développé d’autres projets sur le même principe de pliage. Quand la chaise est sortie, Ligne Roset a retenu trois objets en plus, que j’ai retravaillés par la suite : une chaise de bar, un tabouret et une console.
Entre temps, vous avez développé un autre projet, Techniques domestiques…
Marie-Aurore Stiker-Metral. Pour ce projet, je me suis inspirée d’un livre qui traînait chez moi : L’Encyclopédie des ouvrages pour dames, un manuel assez désuet qui décrit de manière précise les différentes techniques domestiques de tissage, de tressage, de couture… À partir des modèles répertoriés, j’ai mené mes propres expérimentations et j’ai fini par choisir deux éléments constructifs : du contreplaqué découpé numériquement pour la structure et des fils ou des cordes pour l’assemblage et le remplissage.
… qui ont donné naissance à une chauffeuse, une lanterne et un meuble de rangement ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. C’est ça. Le fauteuil a une structure en bois assemblée de manière classique et l’assise est constituée de sangles et de boudins rembourrés de mousse, en utilisant une technique de tressage, mais à une autre échelle. La mousse permet d’apporter du confort, et les sangles qui passent au-dessus et en dessous donnent au siège de la résistance. La partie bois est conçue avec des machines tandis que la partie textile vient s’ajouter manuellement, ce qui mêle à la fois une dimension industrielle et artisanale. En ce qui concerne le meuble de rangement, ce sont les cordes qui permettent de l’assembler. Il y a une première trame découpée dans le bois qui permet de passer une corde rigide, une corde d’escalade, tendue par deux baguettes, comme dans les anciennes scies, pour mettre l’ensemble en tension. Et après, il y a un second type de trame, dans laquelle on passe une autre corde qui permet de créer des motifs et de fermer le fond de manière plus ou moins serrée. Ce meuble est le seul objet de la série qui a été imaginé pour être vendu à plat et monté soi-même.
Chez vous, le point de départ d’un nouveau projet est souvent une technique…
Marie-Aurore Stiker-Metral. Je me rends compte que je fonctionne mieux comme ça. Que ce soit pour La Pliée ou pour Techniques domestiques, ce que je trouve intéressant, c’est de rentrer dans une logique de forme. La technique aide à déterminer comment on va travailler, que ce soit des matériaux, une machine ou un processus particulier.
Pour le Verre-Luisant, pour lequel vous avez obtenu le premier prix du concours Veolia Eau en mars 2007, vous avez pourtant procédé de la manière inverse ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. Oui, mais il s’agissait d’un concours, avec un sujet imposé, qui se prêtait davantage à un projet conceptuel. Et puis on était deux, avec Felipe Ribon, donc ce n’était pas vraiment le même type de travail. Je ne dis pas qu’il y a un procédé meilleur qu’un autre, la question est simplement de se sentir à l’aise dans la façon de travailler. Dans ce cas-là , on s’est vraiment concentré sur un usage. On a commencé à réfléchir sur la question du contenant, en se demandant quel était l’objet qui pouvait manquer à l’eau. On a pensé à l’eau qu’on boit la nuit, dans l’obscurité. En se concentrant sur ce moment précis, on a eu l’idée d’un verre avec un fond phosphorescent. On le remplit avant de se coucher et quand on éteint la lumière, l’eau brille dans le noir, comme une veilleuse. Une fois qu’on a eu cette idée, on a dessiné la forme de cône inversé, comme un abat-jour, pour que la phosphorescence se répande dans le verre quand il est plein.
En novembre dernier, vous avez été désignée lauréate des Audi Talents Awards dans la catégorie design grâce au projet Techniques domestiques. Qu’est-ce que ça va vous apporter ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. Ce prix va me permettre de développer le projet, en m’apportant une aide à la fois financière et d’accompagnement. Chaque membre du jury propose en outre quelque chose au lauréat : par exemple, dans le cas d’Alain Lardet (président des Designer’s Days), ce serait de présenter mon travail lors des Designer’s Days ou bien de travailler sur la scénographie de l’un des lieux d’exposition. Rien n’est vraiment défini pour l’instant. Avec Ora-Ito, nous avons discuté d’une possible collaboration dans le cadre du palace qu’il est en train de concevoir à Paris. Je pourrais éventuellement travailler sur un petit élément pour une chambre, comme un dessus-de-lit, des rideaux ou des coussins, en m’appuyant sur mon projet Techniques Domestiques. C’est une idée qui me plait bien, même si je ne sais pas encore concrètement comment ça pourrait se passer.
Votre dernière création est un tapis baptisé Pénélope…
Marie-Aurore Stiker-Metral. Oui, c’est encore un prolongement de Techniques domestiques. Avec ce projet, je dispose d’un panel de techniques que je n’ai pas encore complètement exploitées. Dans ce cas, je me suis surtout intéressée à leurs potentialités graphiques. J’ai travaillé sur cette idée et je suis arrivée à une sorte de grand tableau qui, en ajoutant la notion d’épaisseur, est devenu un tapis. Ce sont des bandes de laine duvetée, assemblées sur le principe d’un tissage et cousues. Il y a des jeux sur les couleurs, un dégradé dans les deux sens avec un angle très clair et, à l’opposé de la diagonale, un angle très foncé, toujours dans le même coloris mais avec une intensité différente. Pénélope devrait être présentée ce mois-ci sur le stand de Ligne Roset au salon Now ! Design à vivre.
Justement, vous avez été sélectionnée par Philippe Starck aux côtés de 9 autres jeunes designers pour participer à ce salon…
Marie-Aurore Stiker-Metral. Effectivement. L’exposition s’articule autour d’une question que nous a posée Philippe Starck : « Que nous manque-t-il ? ». Chaque designer s’exprimera dans une vidéo et aura la possibilité d’exposer cinq objets. Dans mon cas, ce sera la collection Pliée et les trois objets de Techniques domestiques.
Quelle est votre réponse à la question ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. A vrai dire, la question m’a un peu déstabilisé… C’est un peu LA grosse question et on a eu peu de temps pour y réfléchir. En ce qui me concerne, je me sens incapable de donner une réponse définitive sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire. J’espère que mes projets apportent quelques éléments de réponse. En tout cas c’est ma manière à moi de faire les choses, et je ne suis vraiment pas sûre que ce soit la bonne ou l’unique, mais j’essaye de m’inscrire dans le monde contemporain, dans la production contemporaine…
Que vous définissez comment ?
Marie-Aurore Stiker-Metral. Quand je conçois un projet, j’essaye de réfléchir à la manière dont on peut le produire. C’est quelque chose que je n’ai pas encore évoqué, mais à la base de la réflexion sur Techniques Domestiques, il y a cette idée d’un modèle ou d’un mode d’emploi qui servirait à la production. On parle aujourd’hui du développement durable, du problème du transport des marchandises et de l’énergie que cela consomme… Il me semble donc intéressant de penser des objets assez basiques, qui pourraient avoir un mode d’emploi et que l’on pourrait fabriquer aussi bien en France qu’à l’étranger. De sorte qu’on ne serait pas obligé d’exporter l’objet lui-même mais seulement son mode de fabrication, un peu comme un patron, afin de le produire directement sur son marché de destination. Techniques domestiques se compose d’objets assez simples, en particulier l’étagère et la lampe. Ce ne sont pas des objets figés. Leur production ne nécessite pas un énorme outil industriel et ils pourraient être adaptés localement. Je ne suis pas sûre qu’il soit encore envisageable d’éclater la production en plein d’endroits différents, mais c’est peut-être le rôle du designer d’y réfléchir et de faire des propositions.
Marie-Aurore Stiker-Metral
— Verre-Luisant, 2007. Verre phosphorescent. Conçu avec Felipe Ribon pour le concours Veolia Eau.