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Manipulated, composed and designed (leurre et propagande)

PLiv Taylor
@29 Jan 2008

Bien que le titre de l’exposition s’étire, l’œuvre d’Erick Derac est le contraire d’une œuvre à rallonge. Elle est plutôt ajustée comme un fil tiré au cordeau. Concise jusque dans la critique qu’elle fait du réel. Ce qui ne l’empêche pas de tenter des débordements, de chercher la faille dans la matière, précisément dans la matière photographique.

A la Galerie municipale de Vitry-sur-Seine, Erick Derac propose plusieurs séries de photographies réalisées entre 2003 et 2007. Plutôt qu’une mini-rétrospective, l’artiste plante le décor d’une œuvre en construction: on le voit créer des jeux d’aller-retour, inviter des tableaux-parasites à piquer le regard et briser la belle ordonnance de l’accrochage (la série des Caviardages).

Erick Derac tord le parcours, traçant des diagonales dans un lieu qui d’ordinaire dessine de longues horizontales. Son exposition prend même des allures de chantier lorsqu’il place un tissu polyane au cœur du dispositif scénographique.
La matière plastique, indéterminée entre l’opaque et le translucide, sert autant de support aux œuvres que de rideau pour l’œil. Elle fait obstacle, littéralement, physiquement. Elle donne le rythme d’une œuvre qui ne se résolue pas aux mirages et à la séduction des images.

Car ce parcours élastique, aussi bien en termes d’espace que de chronologie, vient servir un propos sans concession sur la photographie et sur les pièges de la représentation. Erick Derac brise les conventions du médium en intervenant directement sur l’ektachrome avant même que celui-ci soit utilisé pour le tirage. Intervenir c’est-à-dire abîmer, salir, gratter, recouvrir à l’aide de  peintures, de films couleurs, de bouts de scotch, de poils, de poussière, cette fameuse poussière que Duchamp avait déjà élevé au rang d’œuvre d’art.

Les décors forestiers, les paysages urbains des photographies «primitives» d’Erick Derac sont donc détournées ou pour mieux dire «reprisées» comme on le dirait chez les couturiers.
Le quotidien de l’artiste y prend ses aises, à tel point qu’à l’échelle d’un ektachrome, il paraît totalement démesuré.

C’est un monde parallèle qui se glisse entre l’œil et l’image, un conglomérat de matières et de particules aussi singulier qu’il peut être familier. Un monde qui déplace les frontières du réel, transforme le connu en continent orphelin (série Dérives), en topographie inédite (séries Sources et Tu n’es poussières), en abstraction impétueuse et décalée (séries Leurre et Partage d’espace).

Avec ses photographies retravaillées, Erick Derac construit une étrange alchimie, séduisante et monstrueuse à la fois. Comme si l’on avait greffé des prothèses males taillées sur le dos du monde sensible. Sur chacune de ses photographies, Il met à mal les repères de l’esthétisation du réel. Et la série des Caviardages, ces figures grossières peintes sur des pages de magazine (celles-là même qui dévoilent la beauté raide des mannequins), en sont les merveilleux avatars.

A noter la parution d’un catalogue:
Erick Derac, Manipulated, composed and designed, Vitry: Galerie municipale; Echirolles: Musée Géo-Charles, 2007.
   

Erick Derac
— Tu n’es poussière – 1, 2007. tirage photographique d’après poussières, fibres, adhésifs, fragments d’ektachromes et gélatines. 125 x 100 cm
— Partage d’espace #10, 2005-2006. Tirage photographique d’après ektachrome découpé et recomposé, adhésifs et gélatines. 125 x 100 cm
— Points de vue T, 2007. Tirage photographique d’après ektachrome décomposé, gélatines, adhésifs et poussières. 125 x 100 cm 

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