DANSE | CRITIQUE

Mais le diable marche à nos côtés

PCéline Piettre
@18 Mar 2010

Pulsatile et diablement vitale, la création du chorégraphe franco-algérien, présentée lors de la IIIe édition du festival Transe, importe l’Afrique sur la scène alsacienne. Au plus près de la chair et du corps, elle ébauche une subtile réflexion sur les identités, dans un espace saturé de poussière et de vibrations sonores. Ou l’odyssée hypnotique d’une humanité confrontée à elle-même.

Si le titre de la pièce a des résonances infernales, il n’est question ici d’aucune damnation. Le regard qu’Heddy Maalem porte sur nos existences est bien trop préservé d’un quelconque manichéisme pour que la morale y serve de filtre − lui qui fait de l’ambiguïté l’essence de la création et d’une vision juste du monde.

Dans son territoire, celui de la sensation, l’enfer est aussi bien un paradis. Entre le ciel et la terre, du purgatoire aux limbes, les hiérarchies sont obsolètes. Le beau se terre dans la répulsion ; la violence − celle de la guerre et de l’exil − hante les corps les plus lumineux. Comme au bord d’un gouffre, ses interprètes vacillent, testent les limites sans jamais succomber aux débordements. La danse est ce seuil invisible que le corps, sans cesse, éprouve.

Avec Le Diable marche à nos côtés, le chorégraphe réunit des danseurs de techniques et d’horizons différents, de nationalités diverses. Chacun traverse la scène de sa singularité. Femme-araignée, sorcier sur les rives de la transe, poupée à la blondeur médusante s’ignorent, se croisent, se rencontrent puis s’agrègent dans un mouvement commun, dans un même flux − vagues qui s’échouent lentement sur le rivage. Au plus fort de cet amalgame, les corps se miment, les mouvements des uns, terriblement contagieux, sont repris et déclinés par d’autres. On apprend à se connaître, à intégrer l’altérité. Et c’est ensemble, regroupé sur une table aux allures de radeau, qu’on fait face au déluge…

Heddy Maalem semble avoir une vision plurielle de l’unité, recréée à partir de l’imbrication de parcelles individuelles. Chez lui, l’identité n’est pas figée et ne s’oppose pas systématiquement à la communauté. La diversité est le terreau d’une humanité qui lutte pour sa survie et dont l’histoire s’esquisse ici, entre déclins et renaissances.

L’eau − celle que l’on croit entendre s’écouler ou qui jaillit de la bouche des danseurs – et la terre – tapis de sol moelleux, rougeâtre et asphyxiant – sont les deux éléments constitutifs de cet univers épuré, confirmant par leurs noces la présence obsessionnelle de l’Afrique. Comme dans ce pays où la lumière aveugle à force d’intensité, la scène, « noire de soleil », s’évertue à disparaître, tandis que les corps héliotropes s’orientent vers le ciel, bras tendus et tête renversée en arrière.

Dans cette quasi-absence de décor, dans cette pénombre envahie pas la musique dense et hypnotique de Fritz Hauser (qui évoque la transe mais aussi les bruits assourdissants de la ville contemporaine), le mouvement naît du dedans, du ventre, des entrailles – le centre du corps selon la philosophie des arts martiaux, pratiqués depuis des années par le chorégraphe. Il en résulte une authenticité, une vérité qui tue dans l’oeuf toutes les tentatives de virtuosité superflue, tous les clichés sur la diversité, et ne retient que la pure expression de la vitalité.

− Chorégraphie : Heddy Maalem
− Interprète: Iffra Dia, Dramane Diarra, Bintou Dembélé, Yu Erge, Hardo Ka, Milla Koistinen, Keong Swee Lee, Qudus Onikeku, Soile Voima
− Création musicale : Fritz Hauser
− Costumes : Rachel Garcia

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