ART | EXPO

Main invisible

18 Avr - 23 Mai 2015
Vernissage le 18 Avr 2015

Le travail de Laurent Proux semble digérer, à sa manière toute picturale, les états d'âme de l'appareil capitaliste. Il fait cohabiter différents registres de visibilité, entre figuration et abstraction. Et on serait tenté de lire dans l'agitation croissante de ses motifs, dans leur fragmentation répétée, un état de crise.

Laurent Proux
Main invisible

Une thermoformeuse (de celle qu’on utilise pour fabriquer les pots de yaourts) dégueule une farandole de bras et de jambes. Arlequin démembré venant danser une ronde à la surface de la toile. Pièces détachées d’un corps productif que Laurent Proux ne cesse de représenter dans sa peinture.

On connaît les intérêts (les obsessions?) de l’artiste: l’usine dont il photographie, avant de retranscrire sur la toile, les postes de travail désertés et les machines en sommeil; le bureau et ses hiéroglyphes statistiques et stratégiques. Paysages d’entreprises en mutation. Galaxies économiques dont l’équilibre semble menacé de l’intérieur (du tableau).

L’exposition n’emprunte pas par hasard son titre à la théorie de la «main invisible» d’Adam Smith, le père du libéralisme. Le travail de Laurent Proux semble digérer, à sa manière toute picturale, les états d’âme de l’appareil capitaliste. Et on serait tenté de lire dans l’agitation croissante de ses motifs, dans leur fragmentation répétée, un état de crise. Un désordre formel rejouant l’hystérie des marchés financiers; ce grand carnaval d’illusions dopés à la coke qu’était Wall Street dans les années 1980.

De la même façon que cohabitent dans le travail de Laurent Proux différents registres de visibilité (figuration et abstraction) et de traitement des surfaces (fonds épais et premiers plans lisses), s’y entrechoquent des énergies opposées, des mondes sur le point de basculer. Economie réelle contre économie virtuelle. Solidité des biens de productions contre fluidité des flux monétaires et du numérique. Stabilité idéologique des vieux socialismes (ce dessin d’un manuel de l’ex-RDA montrant une ouvrière cimentée à sa tâche) contre flexibilité opportuniste des politiques néo-libérales. Grisaille du quotidien contre bleus oniriques, etc.

Avec le temps, l’Å“uvre de Laurent Proux s’est chargée en tensions autant qu’en composantes visuelles. Une complexité qui reste pour lui le gage de la liberté du regardeur, invité à s’aventurer dans l’huile ou le dessin pour en recomposer lui-même sa propre image. Ou l’expérience artistique comme arme de libération des masses, ainsi que le suggère l’écrivain allemand Peter Weiss dans son Esthétique de la résistance, le livre de chevet de l’artiste.

Céline Piettre

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