LIVRES

Maarten Baas

Design Miami décerne son prix annuel à un artiste capable de repousser les frontières du design. Convaincu par le jeune parcours de Maarten Baas, le jury 2009 a souligné le rendu fascinant de ses idées, toujours enclines à repenser les processus de création et de production.

A la Tools, des pièces issues de cinq séries et un menu travail d’école, Knuckle, bougeoir multiple semblable à un raccord de tuyauterie. Une trivialité qui honore l’intelligence de son articulation: quand l’une de ses phalanges accueille la bougie, les autres lui servent de socle. Maarten Baas utilise les possibilités de l’existant, à ses yeux déjà si propice à l’usage et aux fantasmagories qu’il ne ressent pas le besoin d’en réinventer les archétypes… tant qu’ils nous habitent autant qu’on les habite, pour leur ergonomie et surtout pour l’expérience qu’ils véhiculent au quotidien.

Pour la série des Treasure Furniture, il s’est immiscé dans le cycle de production de l’usine voisine de son atelier, choisissant parmi ses déchets des chutes de chaises pour en créer une autre. Tant qu’elle fabriquait le même modèle, il pouvait agrandir sa famille. Elle compte ainsi 58 chaises et 23 fauteuils à l’identité grotesque: les pièces de bois conservant leur découpe, l’assise est affublée de béquilles et d’excroissances, habitée par le fantôme de l’autre dont il est impossible de saisir la réalité. Une réflexion sur ce qui distingue l’édition limitée d’une production de masse: l’étrangeté isolée d’un espace-temps singulier.

Aussi pour Smoke Maarten Baas a-t-il répondu à des commandes privées, à sa façon… un mobilier classique lui est confié qu’il brûle au chalumeau ! Au seuil de sa disparition, les flammes sont éteintes et l’on applique sur sa peau carbonisée une couche de résine époxy qui en fige les écailles. La violence du geste est étonnamment adoucie. Silence après les crépitements du vécu.

Pour montrer à quel point il trouve notre mobilier perméable aux représentations, Maarten Baas ne se contente pas de laisser l’objet à l’appropriation de l’usager, simulation de créativité. En auteur, il vient appliquer aux meubles les effets d’une perception soumise à l’expérience. Les volumes des Clay et Sculpt Furniture semblent vaciller, la table est précaire et l’armoire ondoyante. La structure des Clay est modelée avec une résine aux couleurs synthétiques : l’ensemble est souverain mais les pièces ont l’air d’insectes aux pieds graciles. Audace et fragilité enfantine. Même instabilité pour les Sculpt, qu’on dirait perçus à travers un plan d’eau ou sortis d’un dessin animé. Ils se comportent comme des reflets malgré la massivité de leurs proportions et la sensibilité de leurs surfaces mates et poudrées.

C’est aussi entre minutie et approximation que Maarten Baas a initié sa série d’horloges. Chargée de la notion du temps, elle porte la dualité d’une régularité inégalable à la texture changeante. Real Time est digitale et ses barres s’effacent ou apparaissent à la minute… à une échelle inattendue ! On distingue à l’écran la silhouette d’un industrieux employé qui, plus petit qu’un chiffre, s’efforce d’ajuster les signes à l’heure qui passe. Une performance fascinante d’honnêteté : les différences d’intensité de son activité concordent à l’exactitude tout en incarnant un temps vécu, toujours au bord du déséquilibre. Précédemment, c’est au mécanisme des aiguilles qu’il avait rendu sa perception humaine. Du domestique à l’espace et du moindre mouvement à l’effort soutenu, Grandfather Clock est une pendule habitée par un homme qui dessine ses flèches, et Sweepers Clock voit deux ouvriers balayer, à mesure du temps, les déchets qui forment deux aiguilles immenses.

L’étude de ces horloges arrive à point nommé pour Maarten Baas, dont on doute que la remise de ce prix figera son travail. Les petits ouvriers de son imaginaire continueront à façonner un univers à la fois fantasmé, cocasse et pertinent. D’opérations minimes en grandes gestuelles avec autant de sensibilité.

Maarten Baas
— série Treasure Furniture, Chutes MDF. Fauteuil de salle de séjour. 90 x 62 x 55 cm.
— Série Smoke, depuis 2004. Meubles brûlés et recouverts de résine Epoxy.
Sweepers Clock, 2009. Horloge.
Sculpt, 2007. Métal, noyer.
Clay Furniture, 2006. Argile, métal.
Knuckle. Bougeoir.