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Lucie Le Bouder

Cette toute jeune artiste (25 ans) présente sa première exposition personnelle à la galerie 22,48m2. Entre art et architecture, son travail privilégie l’in situ pour donner à voir différemment le lieu où il s’inscrit.

Elisa Fedeli. La plaque de plâtre te sert à créer aussi bien des installations que des sculptures autonomes et des peintures. Comment en es-tu arrivée à privilégier ce matériau et pourquoi t’intéresse-t-il?
Lucie Le Bouder. J’ai d’abord pratiqué la peinture sur châssis, de manière classique, dans des schémas abstraits avec des formes qui se superposent. Ensuite, j’ai décidé de transformer ces formes en sculptures et de travailler directement le matériau. La peinture sur châssis me frustrait.
La plaque de plâtre est un élément pauvre, que l’on a l’habitude de dissimuler dans l’architecture. Le fait de l’exposer, de le mettre en valeur, lui donne un autre sens. J’essaie de rendre ce matériau fragile alors qu’il ne l’est pas et qu’il est fait pour durer dans le temps. Chaque installation étant éphémère, le matériau sera détruit à la fin de l’exposition.
Depuis deux ans, j’expérimente les plaques de plâtre pour leurs qualités de surface. Je les casse et je les mets en volume. Ma première installation en plaques de plâtre réalisée à Tokyo était conçue à partir de plaques laissées brutes, non peintes. Ensuite, j’ai essayé de les mettre en volume différemment en jouant sur leurs deux faces et sur la couleur. La couleur me sert à souligner certaines limites et à faire apparaître du relief.

Tes installations sont souvent conçues et réalisées in situ. Parle-nous de celle que tu as conçue pour la galerie 22,48m2 et de sa relation particulière à l’espace.
Lucie Le Bouder. D’habitude, la plaque de plâtre est utilisée pour les murs; je construis ici un sol. J’ai voulu jouer sur le nom de la galerie (22,48 m2) en travaillant à partir d’une surface de plaques de plâtre ayant exactement cette superficie. Puis, je les ai peintes en gris, de la même couleur que le sol, pour qu’elles s’y dissimulent. En les cassant et les mettant en volume grâce à des rails métalliques, je donne l’impression que la surface au sol s’éclate sous les pas du visiteur.
Je cherche à figer une architecture accidentée, brisée. C’est paradoxalement un chaos organisé ou, pour ainsi dire, une construction déconstruite. Telle une matière vivante, le matériau semble se débattre dans le lieu, comme s’il allait s’enfuir. On peut se dire aussi que c’est le plafond qui est tombé. Chacun peut choisir ce qu’il veut croire ou voir. J’essaie de jouer avec des choses standards, comme les normes architecturales, de les transformer pour que le spectateur soit perturbé.
Dans une installation plus ancienne constituée d’un bloc en polystyrène, j’ai réduit la norme de passage par deux (de 90 à 45 cm). Du coup, pour entrer dans le bloc, le visiteur était obligé de se frotter contre ce matériau très désagréable et de prendre conscience de sa gêne physique. J’aime jouer avec l’espace, en montrer les imperfections et les contraintes.

Tu pratiques également le dessin. Tes compositions mettent en valeur une ou plusieurs formes géométriques de couleur vive. Quelle relations entretiennent tes dessins et tes installations?
Lucie Le Bouder. Je dessine des formes au hasard, de manière instinctive. Certaines formes de mes installations m’inspirent pour les dessins, qui sont un travail autour du fragment et du trait.
Ce qui m’intéresse, c’est l’expérimentation du papier en tant que matériau. Je fais de nombreux essais, avec des papiers très différents, afin de voir toutes les façons dont il peut se dégrader, se déchirer, se laisser traverser par la couleur. Je m’impose toujours une certaine sagesse car, finalement, cela pourrait être beaucoup plus «trash» et agressif.

Quels sont les différents papiers avec lesquels tu travailles et les effets que tu recherches?
Lucie Le Bouder. Je travaille beaucoup sur papier millimétré pour mes croquis de recherche. J’ai récemment souhaité utiliser ce type de papier pour des dessins plus travaillés et finis. La surface des fragments dessinés n’est faite que de traits et j’essaie de voir comment se forment de manière aléatoire les pleins et les vides.
Une autre série est dessinée sur un papier «couché sur chrome», précieux, lisse et brillant. Comme dans les sculptures, je ne sais jamais comment il va se dégrader et se casser, les différents traits enlevant la couche différemment. Le dessin n’est jamais parfait car il est fait à la main: les traits n’ont pas le même écart; ils se chevauchent ou déchirent le papier. Je joue beaucoup avec l’aléatoire du matériau.
Enfin, une dernière série est faite sur du papier «Layout» avec des feutres TRIA, ceux qu’on utilise généralement en architecture et en design pour dessiner des perspectives. Je veux exposer non seulement les rectos, mais aussi les versos, pour montrer les erreurs, les bavures, les superpositions, les fragments qui s’ajoutent les uns aux autres.

Tu as suivi, avant les Beaux-Arts, une formation en design d’espace. Qu’est-ce que ce terme recouvre et en quoi a-t-il pu inspirer ta pratique actuelle?
Lucie Le Bouder. Le design d’espace englobe la scénographie, l’urbanisme et l’architecture. Quand je suis arrivée aux Beaux-Arts, après un BTS en design d’espace, j’ai pu garder ce côté architecture qui m’intéresse, tout en reprenant le matériel classique de l’architecte — les feutres TRIA, les cutters, les maquettes — pour essayer de dire autre chose. Un cutter par exemple sert à couper, et non pas à dessiner comme je le fais.

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