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Lotie

Lotie est une illustratrice de 29 ans qui monte, qui monte... Elle travaille aujourd’hui pour de très grandes marques. Et parallèlement, elle commence à apparaître en galerie ; en ce moment, elle expose au sein de l’exposition collective, La main qui dessinait toute seule, chez Magda Danysz.

Interview
Par Samantha Longhi

Tu es illustratrice depuis seulement 2002 et on peut dire que tu as déjà une certaine renommée. Quel est donc ton parcours?
Je n’ai pas du tout fait les études qui a priori m’auraient amené à ça. J’ai une maîtrise d’histoire et une licence d’histoire de l’art, puis j’ai fait un an de préparation au concours d’entrée de l’École du patrimoine et j’ai ensuite enchaîné sur un DESS de communication au Celsa afin de professionnaliser mon cursus. J’ai fait quelques stages en entreprises et ça a été la révélation : ça ne me convenait pas. J’ai eu envie de me lancer dans ce qui me tenait à cœur depuis longtemps.
Je pratique le dessin depuis que je suis petite, mais je crois qu’à l’époque je n’ai jamais voulu me faire trop d’illusions, ou alors c’est que j’ai été mal orientée. J’ai donc commencé à constituer mon book et ça a démarré assez vite.
Je venais de super loin ; je ne savais même pas que le terme illustrateur existait, j’ai dû regarder dans les registres des métiers quelle appellation correspondait le plus à l’activité que je voulais exercer. Assez rapidement des gens ont répondu à mes mailings. J’ai été contactée par les gens de Labomatic/Ultralab, ceux-là même qui coproduisent La main qui dessinait chez Magda. J’ai participé à la vidéo qu’ils avaient projetée en 2003 chez Magda, les 366 Days, pour laquelle j’ai réalisé une partie des décors.
Ces quelques personnes qui ont cru en moi au début m’ont permis de ne pas me démonter et de réaliser que mon boulot pouvait plaire. Il y a eu aussi l’équipe du label électro Dialect recordings, ou la marque de fringues Triiad. Ces premières rencontres sont en plus des personnes très «fidèles» à mon travail, qui ont tout de suite cru en moi et pour qui j’ai depuis régulièrement travaillé ou collaboré sur des projets.
J’ai ensuite reçu de nombreuses commandes. J’ai réalisé les flyers du Wagg à l’année et puis ensuite, ça s’est enchaîné assez vite.

Tu appartiens aussi à un collectif, Girls@Work, qui a un discours assez particulier sur la création féminine. Comment t’insères-tu, comment te positionnes-tu par rapport à elles?
J’avais peu de réflexion par rapport à ça quand j’ai intégré le collectif car ça s’est fait par relations. Je trouve intéressant l’idée de se regrouper entre artistes femmes pour créer un univers féminin dans plusieurs médias. Pouvoir regarder et écouter l’expression féminine en un seul endroit. Mais il est clair que je ne me sens pas plus que cela dans une position revendicative par rapport à ma position de femme dans mon univers de travail. J’aime bien l’idée d’être indépendante et de ne pas me rattacher forcément à un groupe précis. Je ne revendique pas du tout l’aspect féministe de mon travail.

Ton univers est tout de même indissociable du caractère féminin… Il est très doux, on parle de poétisation, d’esthétisation…
Oui, tout à fait, c’est quelque chose que je fais, mais sans revendiquer aucunement le côté féministe. Féminin mais pas féministe.
Je ne suis pas complètement sûre que mon univers soit si doux. Je pense qu’il y a dans mes dessins deux aspects. On pourrait penser de prime abord qu’ils le sont, mais une certaine tension, un mouvement et des éléments assez agressifs les habitent.
Avant de vouloir faire un univers féminin, il s’agit surtout de permettre de m’évader, de me promener dans mes univers quand je les dessine. Et ceci notamment dans les dessins que j’ai réalisés non pas pour des marques mais en vue d’être exposée, ou pour moi (à part certains supports type pochette de vinyle qui me laissent assez de champ libre).
C’est pour cela que je fais tant de paysages dans lesquels, d’ailleurs, il y a rarement des personnages, ou, si oui, ils fusionnent presque avec la nature, leur environnement. Le fait qu’il y ait peu de personnages, que mes dessins demeurent parfois en noir et blanc permet aussi, je pense, à moi, et à chacun, de mieux s’y projeter, d’inventer ses propres couleurs, ses propres histoires en les voyant. Ceci évidemment est moins le cas pour mon travail d’illustratrice (couleurs, contraintes liées au brief, à la demande du client).

Ton univers est floral, gracieux, poétique. Les pièces que tu exposes chez Magda évoquent les paysages bucoliques de l’Age d’or comme ont pu le faire les classiques avec une touche d’érotisme en plus. Quelles sont tes influences?
L’Art Nouveau, la Sécession viennoise bien sûr, mais aussi l’univers de la BD. J’ai beaucoup lu de bandes dessinées, des gens comme Moëbius, un peu Manara, Bilal et aussi les univers de Gustave Doré, de Dürer et de Schongauer que j’ai eu entre les mains quand j’étais plus jeune.
J’ai également beaucoup lu de bandes dessinées japonaises, et vu de films d’animations asiatiques que j’adore, notamment l’univers de Miyazaki que je connais depuis assez longtemps et les petits films d’animations fabuleux qu’a pu faire Tezuka.
Quant à mon univers floral, il est surtout rattaché à la nature qui me manque à Paris, j’imagine. Je suis née à Colmar, j’ai grandi en Alsace, dont une grande partie à la montagne. Par ailleurs, c’est quelque chose qui a très vite collé à une tendance, on m’a un peu cataloguée avec un côté floral. Et ça a été un engrenage entre l’offre et la demande.

La tendance est un élément important pour toi, travaillant pour des marques et des créateurs. On peut se demander si tu t’es insérée dans une tendance ou si c’est toi qui a créé cette tendance.
Je suis arrivée à un moment où j’ai commencé à développer un univers, et c’est ce qui correspondait à la demande et à la tendance, de même que mon traité en noir et blanc. J’ai eu la chance d’avoir toujours été au bon endroit au bon moment.

Tes créations devenant tendance, tu travailles beaucoup pour de grandes marques telles que Absolut(e) et Castelbajac.
Castelbajac a répondu rapidement à un mail de proposition et je me suis retrouvée à travailler pour sa collection printemps-été 2005. Il y a aussi un gros facteur chance là-dedans. Je n’ai pas fait de fleurs pour lui, mais des motifs de félins, d’éléphants. Il avait une demande moins poétique, moins glamour, il recherchait quelque chose de plus agressif.

Tu composes des créations pour de grandes marques après avoir fait le Celsa. Ton parcours n’est pas tant éloigné de ton activité.
Oui, ça a un côté assez excitant de travailler de cette manière. C’était cet aspect de la com qui m’intéressait, pouvoir travailler sur l’identité ou les visuels des marques. Il y a un côté immédiat, dans le sens où tu vois tout de suite les affiches, c’est une satisfaction personnelle rapide. Tu crées, tu es publiée. Et ce qui est très intéressant, au-delà de la satisfaction immédiate, c’est de pouvoir entrer à chaque fois dans l’univers de chaque marque. Cette diversité, la variété des contrats, du type de support est très enrichissante, très excitante, pouvoir rencontrer autant de personnes.
Je ne me suis pas encore retrouvée dans une position délicate face à une marque qui ne correspondait pas à mon univers ou mes opinions. Je n’ai pas encore eu à opposer de refus. Et j’aimerais encore travailler pour certaines marques de fringues, comme Marithé et François Girbaud dont j’aime l’univers.

Tu es quelque part à mi-chemin entre les arts appliqués et les arts visuels avec les expos que tu peux faire pour Magda Danysz ou pour Philippe Chaume. Comment arrives-tu à gérer l’équilibre entre les commandes à but commercial et ta propre création artistique?
Pas très bien car je n’ai pas encore eu beaucoup d’expos ; c’est la deuxième chez Magda et j’en ai eu une l’année dernière chez Philippe Chaume.
Je ne travaille donc pas pour les expos en premier lieu. L’idée est un peu d’exploiter ça, parce que ce que j’expose chez Magda est très proche de mon univers d’illustration, univers qu’on peut retrouver dans mon boulot pour les marques.
Mais j’aimerais partir dans une direction plus artistique, moins collée à l’illustration pure. J’ai toujours eu tendance à faire des dessins moins figuratifs, du graphisme, et c’est peut-être cette direction que j’ai envie d’adopter, changer de support, changer de technique. Amener aussi la couleur et faire de l’animation de mes dessins, entre autre avec le logiciel After Effect.
Je ne sais pas comment je suis perçue par les artistes de galerie, je suis peut-être cataloguée comme illustratrice. J’aimerais concilier mon travail d’illustratrice et mon travail de galerie aujourd’hui.

Est-ce que tu navigues un peu dans le milieu de l’art contemporain parisien? Quelles expos vas-tu voir, quelles galeries visites-tu?
Je n’ai pas toujours le temps, mais ça m’intéresse de voir ce qui se fait, de découvrir de nouveaux artistes. Je suis allée au vernissage de Franck Rezzac chez Agnès B au début septembre, j’ai admiré son panoramique de dessins. J’ai aussi apprécié il y a un moment l’exposition du Grand Palais sur les estampes japonaises. Je peux également retenir le travail du collectif Pleix qui a été présenté au Cube et dont je connaissais le travail en tombant sur leur site par hasard.
Ensuite, si je devais faire un bilan de mon année 2004-2005, je retiendrais la série de Cremaster de Matthew Barney que j’ai revu au ciné cet été, l’année dernière, à la galerie Michèle Broutta une expo de litho de Möhlitz, un coup de cœur pour les photos à la Fiac 2004 de Oleg Kulik, des univers aquatiques étranges. Et j’ai visité récemment plusieurs musées comme le Kunsthistorisches Museum de Vienne et le musée du Belvédère (avec Klimt et Schiele) ou le Prado à Madrid ainsi qu’une exposition de Vierges à l’Enfant au Musée Unterlinden (Colmar) cet été.

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