ART | CRITIQUE

Loft

PElisa Fedeli
@18 Nov 2010

La galerie Nathalie Obadia est littéralement envahie, du sol au plafond, par un univers féérique conçu par la plasticienne portugaise Joana Vasconcelos pour sa deuxième exposition personnelle à Paris.

L’immense environnement conçu par la portugaise Joana Vasconcelos est composé de protubérances tentaculaires et colorées de mille feux. Il invite à une promenade labyrinthique et intrigante. Quelques miroirs posés ici et là en démultiplient les perspectives. Des volumes protéiformes, tubulaires et surréalistes se déploient dans l’espace. De loin, les volumes prennent l’allure d’un long serpent qui danse. Dans le détail, ils sont composés d’une mosaïque de formes, à la fois abstraites et suggestives. On peut y projeter des images de main, de sexe, de cactus, de sein, etc.

Ce qui frappe d’abord est lié à la technique. Détournant les savoir-faire traditionnellement féminins — principalement le crochet, le tricot et la broderie — Joana Vasconcelos emboîte le pas des grandes artistes féministes Louise Bourgeois et Annette Messager. Comme elles, elle a choisi de déployer ces techniques minutieuses à une échelle monumentale.

Le travail manuel est très présent dans l’œuvre de Joana Vasconcelos, qui est entourée en permanence d’une vingtaine d’assistants. Elle aime expérimenter ou inventer de nouvelles techniques artisanales. Pour réaliser un CÅ“ur de Viana, porte-bonheur traditionnel, elle a fait fondre sous l’action de la chaleur cinq mille fourchettes en plastique. «J’aime repenser la tradition, lui donner une valeur contemporaine, jouer de la couleur pour faire réfléchir sur les minorités. Par exemple, les femmes contraintes d’exprimer leur créativité à travers les tâches domestiques ou le crochet», explique Joana (Le Figaro, 1er fév. 2008).

L’organisation de l’environnement a été conçue avec un architecte sur la base de dessins et de plans techniques, avec pour ambition de transformer la galerie en un loft, c’est-à-dire de distinguer dans ses murs une cuisine, une salle de bains, une chambre, etc. Les protubérances de laine et de tissus prennent leur origine dans des orifices. Certaines sortent d’un évier; d’autres d’un pommeau de douche, d’une moulure de plafond, d’une gouttière, d’un mur de carrelage. Tout laisse imaginer que câbles électriques, plomberie et canalisations d’eau se sont métamorphosés en éléments textiles, comme si l’artiste avait voulu exhiber les entrailles intimes de la maison.

Joana Vasconcelos cherche à ré-enchanter l’univers domestique, qu’elle considère comme aliénant, et à interroger la condition féminine dans la société. C’est le cas dans la plupart de ses sculptures, comme dans La Mariée (2001), ce lustre géant composé de tampons hygiéniques qui l’a fait connaître sur la scène internationale. Mais l’environnement de la galerie Obadia, plein de tendresse, est loin de certains travaux plus acerbes de l’artiste. En 2002, un mannequin habillé d’une burqa, suspendu à des câbles et brusquement jeté à terre témoignait d’un engagement plus virulent au regard de l’actualité.

Finalement, c’est l’aspect décoratif de l’environnement qui l’emporte sur ses autres qualités. L’accumulation de tissus, de pompons et de perles brillantes donnent un caractère baroque à cet ensemble. Des ornements rococo en forme de têtes de griffons parachèvent cette idée.
Les couleurs vives se réfèrent moins à l’univers de l’enfance qu’à une certaine imagerie kitsch, celle des couvertures en crochet, des cartes postales cousues de tissus, des robes de poupées, des mouchoirs brodés, etc. Pour l’artiste, née à Paris mais portugaise, il s’agit d’une résurgence de sa «portugalité». D’autres signes ne trompent pas, comme ces carreaux de céramique de la célèbre manufacture portugaise Viúva Lamego.

Auréolée cette année d’une rétrospective au Musée Berardo de Lisbonne, Joana Vasconcelos est considérée comme l’artiste portugaise la plus talentueuse de sa génération. Son œuvre se situe entre l’architecture, la décoration d’intérieur et le design. Plusieurs commandes en témoignent: pour le Royal Monceau, en guise de salon de thé, elle a réalisé une serre de fer forgé, ornée d’arabesques et ombragée par des plants de jasmin odorant (La Théière, 2010). Son esthétique joyeuse et fantaisiste séduit l’œil, plus que l’esprit.

— Joana Vasconcelos, Goutte, 2010. lavabo en cmique, crochet en laine fait main, ornements, polyester. 87 x 43 x 23 cm
—  Joana Vasconcelos, Loft, détail, 2010
—  Joana Vasconcelos, The Weird of Oz, 2010. Crochet en laine fait main, tissus, ornements, polyester, staff, MDF, fer. 260 x 180 x 180 cm
—  Joana Vasconcelos, Fenêtre sur cour (Marbre), 2010. Marbre, cochet en laine fat main, tissus, ornements, polyester, MDF, fer. 120 x 110 x 40 cm
— Joana Vasconcelos, Vedette, 2010. Evier en acier inoxydable, crochet en laine fait main, tissus, ornements, polyester. 160 x 120 x 65 cm

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