ART | CRITIQUE

L’Œil du cyclope

PPaul Brannac
@18 Oct 2011

A l’origine de cette exposition, il y a une petite pièce de monnaie lancée en l’air par un enfant. En 1972, au musée d’art moderne de la Ville de Paris, le fils de Julio Le Parc joue la carrière de son père à pile ou face : face, une rétrospective y sera organisée, pile, elle n’aura pas lieu. La pièce retombe sur sa face pile, et c’est de ce zahir-là que provient, paraît-il, l’actuelle exposition: retrouver la face.

Précurseur de l’Op Art et de la peinture cinétique, il semble que Julio Le Parc ait été, depuis le coup de dés abolissant le hasard, quelque peu oublié du public, mais non de ses illustres suiveurs, parmi lesquels Dan Graham et Anish Kapoor. C’est cet oubli que la galerie Bugada et Cargnel entend réparer, en confiant le commissariat de cette exposition au psychédélique historien de l’art Matthieu Poirier, lequel a rassemblé des œuvres correspondant au projet de rétrospective de 1972 : toutes s’inscrivent en effet dans la période 1959-1971.

Or il le faut bien dire, cela a un peu vieilli ; cela sent un peu fort ses sixties telles qu’aujourd’hui les « biopics » cinématographiques français d’avant-garde en font leurs arrière-plans. Il faut également le dire : le design et la mode « rétro » sont causes aussi de cette surannation soudaine. Ainsi du Mobile transparent (1962-1996) dont le patron de carrés translucides a structuré-destructuré tant de robes transparentes ; ainsi aussi de la Sphère couleur (1971), sculpture qui introduit le visiteur à la perspective qui mène de ladite sphère à la Surface couleur-Série 14 2E (1971), sphère identique mais peinte, en deux dimensions donc, perspective qu’ingénument une Cloison à lames réfléchissantes (1966-2005) entrecoupe, découpe et réfléchit. Les deux cercles chromatiques reflètent eux-mêmes, infiniment, en rond, le spectre de l’arc en ciel, cet arc-en-ciel que Pierre Restany prisait fort chez Le Parc. (Il faudra dire un jour quelques mots de la façon qu’avait le papa du nouvel art de pontifier pour écrire le réalisme nouveau.)

Ainsi que son titre l’indique, l’Ensemble de onze jeux surprise (1965) a aujourd’hui des allures de baraque de foire moins les enfants, de même que les Lunettes pour une vision autre (1965) paraissent un jeu désuet ; un jeu en deçà de ses promesses. Car c’est à ce point, en ce mélange de naïveté et d’ambition, que manque l’œuvre de Le Parc, qu’elle est en quelque sorte passée, même si l’on imagine ce que ces jeux ont pu avoir de frais à l’époque.
En se présentant comme des moyens de renverser la vision (stries, reflets, coupes, surprise, etc.) ses Å“uvres entendaient, en fin de compte, renverser l’ordre social. En réalité elles manquent aujourd’hui leurs cibles en ce sens qu’en se dépouillant, en visant simplement quelque chose à travers elles, quelque chose d’autre qu’elles, les Å“uvres de Le Parc apparaissant magiques seulement, c’est-à-dire nue en fait. Dès lors, ainsi dénudées, elles se prêtent d’autant plus aisément à ce qu’on ne voit en elles qu’un pur objet de contemplation, et non plus de critique.

Heureusement, l’œil s’imagine, et voit plus qu’il ne voit, croit moins que ce que l’on croit. Ainsi une femme nue chancelle dans la Lampe pulsante projetée (1966), une femme qui est plus qu’une pulsion, plus qu’une projection, et d’une nudité plus grande, plus vaste que celle d’une lampe dont on sait qu’en fin de compte elle ne laissera d’elle qu’une courte déception ; une femme anadyomène — un zahir futur.

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