PHOTO | CRITIQUE

L’Odyssée d’une icône : trois photographies

PEtienne Helmer
@12 Jan 2008

En exposant trois clichés célèbres d’André Kertész et leurs reproductions sur près de 80 ans, la Mep ébranle une illusion tenace: celle de la fixité définitive des photographies qui pourraient bien être les images les plus changeantes qui soient.

La Mep aime le mélange des genres et des époques, et le Mois de la Photo est l’occasion de présenter sous un jour neuf des clichés illustres et magnifiques qui semblaient ne plus rien avoir à nous dire.
Qui ne connaît en effet d’André Kertész le célèbre seuil de Chez Mondrian, la non moins célèbre Fourchette, et le corps nu et déformé d’une femme de la série des Distorsions (#6) ?

Outre le rapide historique de leur réception et de la reconnaissance progressive du grand art de Kertész, c’est surtout l’ambiguïté propre à la photographie que cette petite exposition a le mérite d’évoquer: où est l’original dans l’œuvre photographique? Dans le négatif? Dans le tirage datant de l’époque de la prise de vue, authentifié et parfois signé par son auteur? Mais cette situation n’est pas la plus fréquente: qu’on songe aux reproductions actuelles de photographies anciennes ou à l’inévitable altération qu’implique la diffusion par la presse ou le livre.

Faut-il alors renoncer à la notion d’original et estimer que l’œuvre photographique est un work in progress comprenant les tirages réels et les tirages possibles, avec tous les recadrages et toutes les teintures imaginables ? Où est alors la limite qui nous permet de dire qu’une reproduction est mauvaise ?

En exposant les trois plaques argentiques d’origine, puis les tirages auxquels ces clichés de Kertész ont donné lieu de 1926 à 2005 dans des revues et des catalogues de tous pays, ce n’est jamais, dans chaque cas, ni tout à fait la même image ni tout à fait une autre qui nous est présentée: les tons des gris, des noirs et des blancs, la déformation qu’impose le format chaque fois singulier du support fabriquent autant d’images différentes. Est aussi rompue l’illusion qui voudrait que les tirages les plus contemporains de la prise de vue soient les plus authentiques: il suffit de voir ceux des années 1920, jaunis par le temps.

Que veut donc dire connaître l’œuvre d’un photographe, si l’œuvre photographique ne peut se prévaloir d’une permanence et d’une identité absolues ? Cette connaissance est toujours conditionnée par la qualité des tirages et des reproductions, et suspendue aux progrès des techniques dans ce domaine. Elle est donc foncièrement historique, et cette inévitable contingence n’est que la contrepartie du geste photographique le plus archaïque et le plus fondamental : capter l’impression lumineuse d’un ici-et-maintenant, dont le hasard ne disparaît jamais tout à fait dans la nécessité de l’image travaillée.

Les photographies sont supposées être des images fixes: elles pourraient bien être les images les plus changeantes qui soient.

André Kertész
— Photocinégraphie, février 1934.
— Die Dame, novembre 1929. Publicité Bruckmann-Bestecke.
— Étude d’une fourchette, 22 mars 1930. Revue hebdomadaire.
— Photography, juin 1936.
— Uhu, octobre 1929.

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