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Lisa Ruyter

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

Lisa Ruyter donne à ses forêts une puissance affective par la composition d’espaces hostiles ou bien ouverts, denses ou aériens, que soulignent les contrastes colorés, joyeux ou dramatiques 

Des Nabis en passant par Mondrian, et jusqu’aux récents Cyprès de Jean-Marc Bustamante, la figuration de troncs d’arbres est constamment présente dans les arts plastiques, sans doute parce que ce sujet permet de concilier exigence formelle et figuration. Lisa Ruyter actuellement présentée à la galerie Thaddeus Ropac avec Can’t See the Forest for the Trees prolonge encore cette lignée, sous une forme très différente cependant. Mais on sent très bien, en promenant le regard dans ces forêts aux couleurs acidulées que l’étude de l’espace pictural et ses possibles effets reste au cœur de ses préoccupations.

Des arbres, on ne voit jamais la base ou la cime, mais des segments de tronc qui traversent le tableau dans toute sa verticalité. Dans The Good Earth, le regard butte contre deux larges bandes colorées situées au premier plan entre lesquelles apparaît le reste de la forêt. Sur la droite, un chemin circule avant d’être brutalement et de façon arbitraire fermé par un trait de contour au seuil d’un espace mauve indéterminé.

Le très grand tableau vertical, Far and Away nous situe, quant à lui, en contrebas d’une forêt dont la ligne d’horizon monte bien au-dessus de notre regard. Un chemin sinueux descend vers nous, jusqu’à nos pieds et renforce cette sensation d’immersion dans l’espace du tableau. On est cerné par une succession de troncs d’arbres très proches les uns des autres, créant une impression de sous-bois étouffant.

Comme l’annonce le titre, The Petrified Forest dégage une ambiance morbide, due en partie à deux troncs d’arbres qui se rejoignent au premier plan, l’un de couleur rouge sanglant et l’autre kaki. Ce contraste de couleurs chaude et froide au centre du tableau crée une tension extrême que n’adoucissent guère les couleurs glaciales de l’ensemble du paysage. La phosphorescence des tonalités sur un fond sombre nous plonge dans une nuit enchantée, au cœur d’une forêt hostile.

Lisa Ruyter semble vouloir mettre à l’épreuve nos habitudes perceptives et révéler ce qui conditionne ordinairement la circulation du regard en malmenant les règles de la perspective et la logique interne de l’image. Des informations font défaut, contre lesquelles le regard butte, constamment surpris par des raccourcis brutaux et capricieux : les chemins s’interrompent bien avant d’atteindre la ligne d’horizon, les troncs épais contrarient souvent nos tentatives d’immersion dans l’espace du tableau.

La palette hardie des tableaux rythme leur surface de manière agressive ou enchanteresse par ses violents contrastes : c’est bien entre ces deux pôles qu’oscille sans cesse l’ensemble de ce travail. Les ombres portées sont lumineuses, d’un bleu profond ou fuchsia, les troncs d’arbres jaunes ou roses, animant la surface de la toile par leurs couleurs pures et saturées, que le voisinage de tonalités pastels apaise subtilement.

Lisa Ruyter donne à ses forêts une puissance affective par la composition d’espaces hostiles ou bien ouverts au regard, denses ou aériens et que soulignent les contrastes colorés, joyeux ou dramatiques. The Last Hole, seul tableau horizontal de la série, place notre regard à la hauteur des cimes. Des feuilles de couleurs vives se détachent sur le ciel d’un bleu intense, balayées par le vent. Blind Corner séduit par son caractère épuré aux réminiscences japonaises. La luminosité des couleurs et cette nuée de feuilles blanches flottant comme des oiseaux dans le bleu du ciel, la composition calme et équilibrée rappellent aussi les derniers travaux en papiers découpés d’Henri Matisse.

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