ART | INTERVIEW

Lionel Estève

A peine débarqué de Bruxelles, Lionel Estève s’active à la galerie pour accrocher sa nouvelle exposition : How to Lie. Les caisses sont au milieu des salles, les cadres sont encore sous bulles, mais déjà tout commence à prendre forme. Le plus important est d’installer les sculptures électrostatiques et cinétiques. Ensuite il sera plus commode de les marier aux dessins.

Qu’elle est l’idée de cette exposition ?
Lionel Estève. Je propose un regard rétrospectif. Je suis artiste depuis dix ans. Je tente de regarder certaines de mes œuvres. Toutes ces directions, toutes ces pistes sont-elles le fruit d’une ou de plusieurs personnes ? Peut-on y déceler une cohérence ? C’est la première fois que je tente un regard un tant soit peu analytique sur ma pratique. Mais j’évite de regarder le passé en ne présentant que des pièces nouvelles. J’essaie de trouver les rapports qu’elles entretiennent, ou pas, les unes avec les autres.

Comment travaillez-vous ?
Lionel Estève. Je travaille toujours sous la forme d’un projet. Je le développe en fonction d’un contexte et d’une envie. Je l’attache toujours à des recherches techniques mais surtout à des inventions. Je travaille dans une globalité. Je ne décide rien à l’avance. Je n’avance pas avec des présupposés. La fin d’une exposition n’annonce pas la suivante. Je ne trace pas une ligne directrice à l’avance. Je tente d’être aussi libre que possible pour présenter des choses différentes. Je m’aide des opportunités qui se présentent.

Vous êtes un gros bosseur ?
Lionel Estève. Le rapport avec mes œuvres est très simple. Je travaille tous les jours. Cela fait partie de ma vie. Du coup il est simple de constater ce que je fais. Ma production n’est pas compatible avec une vie de voyageur. Je ne peux pas déléguer le travail. J’aime commencer et terminer ce que j’entreprends. Je ne compte pas les heures.
Pour les sculptures en pierre, je couds toute la journée. Je passe d’un nœud à l’autre. C’est très prenant. Il faut qu’à un moment cela cesse, car j’en ai vraiment marre. Mais le résultat en vaut la peine, c’est jouissif. Il y a quelque chose à la clef, mais je suis content quand cela se termine.
Ce travail peut se faire tout au long de la journée, que ce soit à l’atelier, avec mes assistants, ou à la maison le soir devant la télé.
Pour la pièce exposée j’ai dû utiliser près d’un kilomètre de fil. Les pierres seront positionnées verticalement. A priori cela marchait dans mon jardin, donc cela devrait tenir sur le sol en béton de la galerie.

Votre travail cherche toujours à séduire le spectateur ?
Lionel Estève. Les œuvres doivent parler à l’œil. Elles sont extrêmement visuelles. Malgré notre habitude à tout regarder, je trouve que nous ne sommes pas assez exigeants. Ce sens, n’est pas assez développé. Notre vision n’est pas aussi fine et précise qu’elle devrait être.

L’expérience directe, «visuelle», est indispensable pour appréhender votre travail ?
Lionel Estève. Il est très délicat de photographier mes pièces. Il est difficile de témoigner de ce qui se passe dans l’expo. Il n’y a que l’œil qui peut voir. Rien ne peut remplacer ce regard. Il faut être là, devant le dessin ou la sculpture. L’interaction est importante.

Ne pas pouvoir photographier vos œuvres n’est pas handicapant ?
Lionel Estève. C’est peut-être un problème pour vous, mais pas pour moi. Cette difficulté à communiquer permet de découvrir les œuvres sur place. Certains dessins sont impossibles à photographier. Il n’y a que l’œil qui peut faire ce travail.

Il y a beaucoup de fragilité dans vos travaux.
Lionel Estève. Ils ne sont pas aussi fragiles que ça. Dans les dessins ce sont les cadres en verre qui sont les plus vulnérables. Il n’y a que leur manipulation qui peut les fragiliser. La fragilité ne m’intéresse pas en soi.

Plus que la fragilité c’est la nature qui vous intéresse.
Lionel Estève. Le vrai point commun se trouve, effectivement, dans le rapport que j’entretiens avec la nature. La base de mon travail se nourrit de mes promenades dans la campagne. J’aime marcher dans le lit des rivières l’été. C’est en voyant tous ces cailloux que l’idée des sculptures est née. J’adore les toucher, les regarder. Ce sont des mondes en puissance. Chaque pierre est différente. Quand j’en ai une dans la main c’est comme si je tenais une planète entre les doigts. Je me nourris de ce type d’expérience, de rencontre. C’est très important.

La couleur joue un rôle important chez vous.
Lionel Estève. Je m’évertue à réaliser des sculptures polychromiques. Cette tradition a été abandonnée pendant plusieurs siècles. Il est étrange qu’un homme comme Rodin ne ce soit intéressé qu’à des marbres d’une seule couleur. Je ne suis pas le seul à intégrer cette composante dans mes sculptures. Le XXe siècle, avec des gens comme Calder, a redécouvert les vertus de la couleur. Pour moi cette composante est aussi importante que le volume ou que le contexte de la sculpture.
Certaines couleurs me posent des problèmes. C’est difficile de dire pourquoi, mais j’ai beaucoup de mal avec le rouge. Je peux l’associer avec du blanc, mais après, je ne sais pas avec qu’elle autre couleur le marier. Par contre, la combinaison orange-rose m’évoque Christian Lacroix. Pourquoi ? Mystère. Sans doute qu’elle me rappelle inconsciemment une robe.

Vos premières pierres datent d’il y a dix ans.
Lionel Estève. La première série a été initiée par l’ironie. Le virtuel envahissait le monde de l’art, il n’y avait que ça qui comptait. Les ordinateurs présentaient des formes modélisées, vectorielles. On était sous le choc, on trouvait ça très «high tech». En enrobant des cailloux avec des fils j’ai obtenu le même résultat. Les premiers travaux étaient plus géométriques que ceux d’aujourd’hui. Ils collaient plus avec l’imaginaire de l’époque.
Aujourd’hui leur aspect est bien différant. J’ai récupéré des pierres calcaires du sud de la France. Leurs formes, mais surtout leurs nœuds évoquent le scintillement des étoiles.

Vos premières sculptures électrostatiques datent de quatre ans.
Lionel Estève. L’interactivité entre la sculpture et le spectateur est à la base de ce projet. Le premier modèle ressemblait à un dragon chinois qui flottait dans l’espace. Il avait beaucoup de fils animés par l’énergie électrostatique. C’était les spectateurs qui les actionnaient. La présence humaine déclenchait l’œuvre. Les fils se dirigeaient vers les spectateurs. Ils les touchaient. Il y avait beaucoup de liberté.
Pour cette expo, l’environnement sera différent je crois. Il devrait y avoir un scotch par terre pour maintenir une distance de sécurité. Je ne veux prendre aucun risque avec les personnes cardiaques. Ce type d’engin est nocif pour les pacemakers. On verra, mais il faudra prévenir les personnes à l’entrée de la pièce du risque potentiel des ondes.

Il y a également un houlaoup qui fait la danse du ventre.
Lionel Estève. Son titre est Liquide jaune lumineux. C’est une pièce minimale. C’est une sculpture qui est actionnée par un petit moteur. Ce cerceau dans l’espace créée une illusion. C’est presque un hologramme.

Parlez-nous de vos dessins à franges.
Lionel Estève. J’en montre trois. Chacun utilise un papier différent. Ce sont des films en celluloïd. Ceux qui sont utilisés comme filtre sur les projecteurs. J’aime leur matière et leurs effets.  Encore une fois, il y est question de vision. Je balaie le spectre visuel qui embrasse la vue globale jusqu’aux détails. Tous ces papiers découpés, montés dans un cadre de verre m’évoquent une fleur qui s’ouvrirait. Non, ça tu couperas pour l’article… Comment dire… c’est trop naïf comme observation. Mais c’est vrai que je suis inspiré par cette image. Cette ouverture, cette floraison est de l’ordre de l’abandon. Le visuel devient olfactif. Si tu veux c’est comme un cerisier en fleurs. En y pensant, en le voyant son odeur devient palpable.

Quels sont vos projets ?
Lionel Estève. A Gand, en Belgique, je dois travailler sur la décoration d’un centre médical. Les enjeux sont différents de ceux que l’on peut avoir pour une exposition ordinaire. Les médecins, les patients vivront avec des œuvres. Je veux que ces images soient scientifiques sans l’être. C’est intéressant de travailler pour des gens qui passeront huit heures devant mes dessins. Il faut que le résultat s’impose et s’efface en même temps.
Je concours pour la place publique d’un village en Belgique. Je ne sais pas si mon projet sera retenu. 
Enfin je dois répondre à une invitation pour un musée en Grèce que je ne connais pas, mais qui est très grand. La contrainte réside dans le budget alloué qui avoisine les zéros euros. Le défi consiste à proposer une exposition qui ne soit pas qu’un simple accrochage. Tous ces projets sont en chantier, ils ont le temps d’aboutir ou pas, en tout cas de changer c’est sûr.

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