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L’Inéluctable Métamorphose

Le festival Artdanthé a fait place dans sa programmation, à la fois pointue et exploratoire, au triptyque IM de la compagnie Toufik Ol. Il s’agit d’une recherche autour du corps nu, démarrée en 2004 avec L’Inéluctable Métamorphose, solo fondateur. Lors d’une première soirée ce solo fut associé au troisième volet du triptyque, #im3 créé en 2008. Le volet 2, Origine O=im2 a été présenté le soir suivant.

Chaque pièce apporte des perspectives nouvelles à la problématique du « corps nu avec ses transformations d’état et de la chair ». Pour autant, les termes de la recherche et ses développements les plus étonnants et aboutis se retrouvent dans le solo initial. Car il y a dans cette pièce plusieurs propositions très fortes du fait même de leur état de premier jet.

Ce qui séduit dans cette chorégraphie et lui donne sa puissance tient à son indétermination,  à une polysémie qui en fait la richesse et le trouble. Dans les volets suivants, nous allons retrouver les mêmes préoccupations autour du pouvoir de fascination / répulsion du corps nu et de la vidéo que le chorégraphe utilise comme personnage à part entière. Mais les pistes qui s’entrechoquaient, véhiculant une multitude de sens à fleur de peau, deviennent des réponses formelles, des variations virtuoses déclinées dans des danses d’ensemble (quatre danseurs pour #im3) ou solos survoltés, où la vidéo est omniprésente.

Dans L’Inéluctable Métamorphose le dispositif vidéo est réduit à sa forme la plus minimaliste, loin des expérimentations très sophistiquées des autres volets : un écran sur lequel sont projetées des séquences qui introduisent, reprennent ou accompagnent le solo sur scène. Dans un premier temps, hommes et femmes déambulent dans les couloirs d’une maison en pierre. Poussée aux limites de la satire, cette petite agglomération de corps qui se frôlent ou s’entassent dans des boites en carton— simulacres d’un espace privé, individuel, précaire (réduit) et qui touche, colle à la peau — nous amène vers l’idée d’une certaine convivialité avec ses rites quotidiens mis à nu.

Par la suite la vidéo donne à voir une danse régie par les mêmes contraintes que le solo de la danseuse nue sur scène. Parfois des gestes se superposent et une sorte de brouillage des frontières entre le temps de la vidéo et le temps de la performance se produit. 
La danseuse se fabrique une coiffe en papier aluminium qui lui couvre complètement le visage et se lance dans une danse large, plastique et exploratoire. Les yeux bandés, couverts par cette coiffe, elle ne perçoit l’espace qu’à travers ses gestes et son corps en mouvement. Il y a dans cette danse une certaine fébrilité, mêlée à une furie d’embrasser le plus d’espace possible entre les volutes de ses membres tendus.

Ce corps anonyme a un pouvoir de fascination redoublé et gagne les attributs d’un être fantastique, fantasmatique. Le règne des fantasmes se dissipe nettement lorsque la danseuse déchire sa coiffe et découvre son visage. Son regard affronte le public et chasse toute projection fantasmatique : nous tombons sous le plein pouvoir du corps qui assume sa nudité. Dans ce renversement, le corps et sa nudité sont posés dans une puissance qui se décline, au gré des différentes séquences de la pièce, dans des danses qui explorent les « variations quotidiennes où chaque événement laisse une marque sur notre peau. »

La danse est rampante, désarticulée et compacte à la fois, avec sa contrainte très lisible dans les gestes, dans la mesure où le corps semble garder la mémoire de sa carapace — coquille en carton. La séquence suivante met justement en scène l’évolution d’un corps dans une boite, espace qui lui colle à la peau. Le cadrage de la vidéo ajoute à l’insolite de la situation une vague sensation d’apesanteur, de flottement, comme dans les liquides amniotiques du ventre maternel.

Enfin la danse se fait sensorielle, à fleur de peau, quand elle est guidée dans ses mouvements par les tracés des lignes sur le corps : chaque geste inscrit des traces et dans un second temps suit ces lignes de force. La vidéo vient troubler cette sensation ; la danse se construit toujours à partir de ce même geste — tracer des dessins sur les corps — mais ces tracés deviennent marques, codes barres, contours qui morcellent et désindividualisent. Dans cette séquence, le corps de la danseuse se charge de quelque chose de très violent et dramatique. Une fois de plus, le chorégraphe réussit à brouiller les pistes.
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