DANSE

L’Image

PCéline Piettre
@21 Avr 2011

Dernier rendez-vous du festival Etrange Cargo 2011, L’Image d’Arthur Nauzyciel livre le texte éponyme de Beckett en pâture à trois interprètes : la musicienne Mileece, l’actrice Lou Doillon et le danseur Damien Jalet. Sur une scène gazonnée fleurant bon l’herbe fraîche, toile de fond du récit, ils font et défont l’image, avec force et une étrange vérité.

« La langue se charge de boue un seul remède alors la rentrer et la tourner dans la bouche l’avaler ou la rejeter question de savoir si elle est nourrissante ». C’est par ces mots que Samuel Beckett commence L’Image, une courte nouvelle de 1950, souvenir d’une idylle amoureuse, phrase unique sans aucune ponctuation s’étirant sur dix pages. Quoi de plus naturel après tout que d’entamer un roman en ce lieu, la bouche, berceau organique du langage. Chez Beckett, l’écriture est toujours celle du corps, d’un corps souffrant ou jouissant, souvent les deux ensemble. En s’emparant de L’Image, le metteur en scène Arthur Nauzyciel ― directeur du CDN d’Orléans depuis 2007 ― transpose sur scène cette physicalité propre à l’écrivain irlandais, et en fait la garantie de réussite de sa pièce, toute entière tournée vers l’écriture comme les tournesols vers le soleil.

Campée sur ses deux jambes, tendue par la voix, incroyablement présente, Lou Doillon expulse, crache les mots plus qu’elle ne les articule ; la musicienne Mileece caresse du visage les fleurs en feutre dont elle extirpe par magie des sons telluriques, avant de s’endormir, fragile, sur un tapis de verdure ; Damien Jalet vibre, tremble, se cambre et se cabre, sursaute, éructe, aboie ― corps parlant saturé d’énergies contraires. Les trois interprètes accueillent avec une force et une avidité étonnantes ce texte asphyxiant. Ils l’incarnent littéralement, en une parfaite adéquation entre la matière d’une écriture et sa tentative d’énonciation.

Ainsi, pour dire Beckett, pour « faire l’image » ― c’est-à-dire la « défaire », la flouter dans une avalanche de sensations visuelles, de flashs mémoriels aussi anarchiques, insensés que les mots qui la portent ― Arthur Nauzyciel a choisi d’en donner trois versions différentes. Un parti-pris qui fait tout à la fois la force et la faiblesse de L’Image, force de ces présences éperdues dans la solitude du corps textuel, faiblesse de la juxtaposition même, qui révèle un manque d’articulation entre les parties. La performance est une succession de déflagrations au lieu d’une explosion commune. Et elle en perd selon nous quelques joules d’intensité….

Clôturant la pièce autant que le festival, la proposition du danseur Damien Jalet résonne un peu plus fort que les autres, en tant qu’elle exprime en profondeur l’essence de l’écriture beckettienne. Ancien interprète du chorégraphe flamand Wim Vandekeybus et collaborateur de Sidi Larbi Cherkaoui, il sait manier l’humour noir, comme ici, transformant sa main en une insolente tête chercheuse pour se rendre étranger à lui-même. Cloué au sol, mais capable de verticalités soudaines, de tensions en relâchements, il réussit à donner un corps à cette écriture à la fois pesante et aérienne, obscure et lumineuse, qui hésite sans cesse, en les condensant, entre terre et ciel.

― Conception et mise en scène: Arthur Nauzyciel
―  Avec: Lou Doillon, Damien Jalet, Mileece
―  Texte: L’image de Samuel Beckett

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