ART | CRITIQUE

L’Ile de Paradis™ (v. 1.15). Un voyage au milieu du temps (art. 2)

PEvelyne Bennati
@12 Jan 2008

Dans une tradition philosophique ancienne, Ultralab™ interroge l’utopie à travers la métaphore de l’île idéale. Tout en dénonçant le risque de tentation totalitaire, ce groupe d’artistes noue un rapport riche et subtil entre réel et virtuel, fiction et histoire. Métamorphosant le Jeu de Paume en lieu de l’utopie…

Le travail d’Ultralab™, aux frontières de l’art, de la science et de la communication, très souvent en lien avec les nouvelles technologies, fait totalement écho à la volonté du Jeu de Paume de valoriser des projets d’artistes spécifiques à internet. Aussi, en parallèle à l’exposition dans le musée même, le groupe a développé sur l’espace virtuel de ce dernier un site ayant le même titre que l’exposition, mais qui dispose de sa propre forme.
«Il existe au milieu du temps / La possibilité d’une île» : le sous-titre du site (et de l’exposition) et leur thème sont tirés pour partie de ces vers de Michel Houellebecq (dans le roman La possibilité d’une île).
Internet est probablement la forme idoine pour «un voyage au milieu du temps». Un suspens entre réel et immatériel; construit, créé mais pourtant insaisissable. Comme ces rêves d’îles aux cocotiers-mer bleue-sable blanc-ciel pur garantis, images attendues du paradis sur terre pour touristes en mal de dépaysement tout confort.

Le groupe Ultralab™ n’interroge pas l’utopie de ce mode de communication planétaire. Il met en oeuvre nombre de ses possibilités techniques pour composer un dossier sur l’utopie, appréhendée par la métaphore de l’île idéale.
Images de synthèse, plans, étapes de construction du projet, première version (1.0) et version en cours (1.15), dessins, textes, photos, reproduction d’affiches…
Ces matériaux plastiques très divers, créés par les artistes ou collectés et classés sous forme d’archives, peuvent être fictifs, réels ou virtuels : ils tentent une approche multiple de l’utopie en mêlant à une cristallisation de rêves, parfois propices à la tentation totalitaire, le stéréotype de l’île vacancière idyllique.
Le bleu des îles, qui touche au vide, fait écho au bleu numérique, qui permet d’incruster des personnages sur un fond virtuellement construit ; mais aussi à l’île idéale, qui ne peut exister. On se laisse toujours séduire par des images, paradis artificiels qui collent à la demande.

La création en images de synthèse d’une partie du Jeu de Paume suscite une étrangeté liée à la facticité stéréotypée de l’esthétique de jeux vidéo, mais aussi à la présentation de cette doublure virtuelle comme envers du décor, propre à faire «exister» l’impossible. Le Jeu de Paume apparaît alors bien comme le lieu de questionnement de l’utopie, le site virtuel étant classé par zones qui renvoient à une topographie de l’endroit réelle, fictive ou virtuelle.

Ultralab™ lance une charge contre le commerce de l’utopie, aussi bien intellectuel en matière politique que financier dans le domaine touristique : L’Ile de Paradis™ est un produit, gratifié du sigle commercial ™ (trade mark). Les textes radicaux non dénués d’humour pourfendent tous azimuts les modèles standard de notre société : téléréalité, consumérisme, chirurgie esthétique, tourisme tout compris, comme autant d’expressions d’utopies illusoires… Ce jeu de massacre s’effectue cependant à bon compte.

Beaucoup plus stimulante est la sortie de l’oubli de Rose Valland, conservateur du musée Jeu de Paume dans les années quarante, qui a permis par un travail d’espionnage des exactions nazies la restitution après guerre d’une partie du patrimoine spolié aux particuliers et à l’État.
Cette remontée de l’histoire apparaît dans une image de synthèse représentant un sous-sol pour le moins mystérieux, bas-fond de l’histoire et du musée: le nom de la résistante apparaît sur une porte attenant à un local de stockage d’armes (in Map™ 05 – zone D – écrans). Un jeu subtil entre réel et virtuel s’institue, l’image de synthèse d’un souterrain probablement fictif servant à mettre à jour un fait historique. Dans ce décalage et cet écart (le «mentir-vrai» du roman selon la formule d’Aragon) semble se tenir l’utopie.

L’utopie se glisse aussi dans la méthode de travail d’ Ultralab™, placé, a contrario des sigles commerciaux, sous le signe du copyleft, c’est-à-dire la possibilité de reproduction et modification de l’œuvre, sous réserve de maintien des conditions d’utilisation.

L’arborescence du site en forme de râteau, qui oblige chaque fois à revenir en arrière pour accéder à de nouveaux éléments, ne facilite pas la circulation ; mais il s’agit d’une documentation propre à activer notre réflexion et notre imaginaire et non d’un jeu de piste à perte de vue dans les méandres d’internet. Certaines pages en cours de construction (selon la formule consacrée) créent alors une béance où se glisse un inconnu absolu.

Ultralabâ„¢
— L’Ile de Paradis, Map 03™. Unreal’ Super Sunshine Special K Exhibition Edit, 2007. Dispositif multimedia. Dimensions variables.
— L’Ile de Paradis, Map 03™. Unreal’ Super Sunshine Special K Exhibition Edit, 2007. Dispositif multimedia. Dimensions variables.
— L’Ile de Paradis, Map 03™. Unreal’ Super Sunshine Special K Exhibition Edit, 2007. Dispositif multimedia. Dimensions variables.

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