ART | CRITIQUE

Light from Matter. Matter from light

PFrançois Salmeron
@29 Jan 2013

David Tremlett et Michel Verjux conjuguent leurs talents le temps d’une exposition tout à fait réussie, s’articulant autour de la matière et de la lumière. Le premier délaisse ses pastels pour travailler à partir de graisse de moteur noire, tandis que le second poursuit ses travaux à partir de ses fameux éclairages.

L’exposition «Light from Matter / Matter from Light» tisse une belle dialectique entre couleurs (noir et blanc) et matière (épaisseur de la graisse et immatérialité de la lumière). Ainsi, David Tremlett et Michel Verjux ont chacun pris en charge un des termes de cette dite dialectique, réussissant à dépasser leurs contradictions pour donner forme à trois œuvres grandioses.

La première œuvre articule un ensemble de cinq formes géométriques (Suite au mur de trois plus deux). Deux parallélépipèdes noirs encadrent trois carrés de dimensions égales, dont celui situé au centre est également noir. L’œuvre repose donc sur une alternance de formes géométriques et de couleurs. La scansion est la suivante, obéissant à un principe de symétrie: parallélépipède noir, carré blanc, carré noir, carré blanc, parallélépipède noir.
Les formes noires sont composées par David Tremlett à partir de graisse de moteur noire, qu’il a étalée de ses mains sur les murs de la galerie, fidèle à ses «wall drawings», mais délaissant donc ses habituels pastels pour un matériau pour le moins surprenant, mais aux qualités plastiques indéniables.
Michel Verjux, quant à lui, a intercalé deux projecteurs qui diffusent deux carrés de lumière incandescente entre les surfaces noires. Le contraste entre les deux procédés est saisissant, passant du noir le plus sombre au blanc le plus éblouissant. Aussi, les surfaces noires et blanches qui se succèdent créent, suivant les termes du philosophe Henri Bergson «une juxtaposition d’unités hétérogènes sur fond neutre».

A cette juxtaposition de formes géométriques succède une forme simple, à savoir un grand cercle coupé en deux à la verticale, dont une partie est noire, et l’autre blanche (Tondo mural, mi-matière mi-lumière). Un superbe contour bleu émane de la lumière, et noir et blanc se complètent ici parfaitement. Sur la partie noire faite de graisse, on perçoit les traces de main de David Tremlett, qui apparaissent tantôt comme des caresses voluptueuses, tantôt comme des coups de griffe. Le geste, travaillé et précis au demeurant, dégage toutefois une certaine puissance, une force primitive. Les tracés s’enchevêtrent, creusant des sillons dans l’épaisseur de la matière. La lumière fait reluire çà et là la graisse, elle brille. Tout cela donne un caractère très tactile à l’œuvre. On aurait envie de saisir nous aussi cette graisse à pleine main, de l’étaler, de la malaxer, de s’en emparer, en somme.

Une troisième œuvre trône dans une salle obscure. Cette fois-ci, le projecteur de Michel Verjux, posé au sol, vient frapper de plein fouet un bloc recouvert de graisse noire. La surface exposée à l’éclairage apparaît comme grise, argentée par endroits même. Le rendu est magnifique. Comme toujours chez Michel Verjux, l’éclairage est sciemment élaboré et les effets de cadrage et de focus sont remarquables. Ici, l’éclairage est pensé pour déborder très légèrement du cadre du bloc noir. Ainsi, sur le mur du fond de la pièce, on perçoit certes l’ombre massive du bloc, mais surtout, un mince filet de lumière se détache autour de la masse — comme un filet de lumière passant par le bâillement d’une porte mal fermée, dans une chambre obscure, et nous livrant la clé des songes.

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