ART | CRITIQUE

Light and Dark. The Projections (1967-2012)

PFrançois Salmeron
@21 Déc 2012

Se situant à la frontière de l’art, de la poésie et de la philosophie, les œuvres de Robert Barry explorent la place des mots et du langage dans la création artistique. Ainsi, l’exposition «Light and Dark» présente principalement des vidéos où des phrases et des mots sont projetés sur des écrans ou les murs de la galerie.

Robert Barry est considéré comme l’un des pères fondateurs de l’art conceptuel, qui vit le jour à partir de la fin des années 1960. La plupart des œuvres présentées ici se réduisent au langage, puisque des mots et des pensées se trouvent projetés via divers supports sur différentes surfaces.
Les œuvres de Robert Barry acquièrent ainsi une portée psychique, cérébrale, où les concepts juxtaposés les uns aux autres résonnent dans notre esprit, grâce aux associations d’idées que nous sommes capables de créer. Ses pensées provoquent aussi en nous des interrogations sur le sens des choses et de l’existence en général.

Somethinhg that cannot be put into words voit-on inscrit dès notre arrivée sur le mur de la galerie. Le rapport du langage au réel apparaît alors comme l’un des enjeux essentiels de l’exposition. La question consiste à se demander si le réel peut se traduire dans le langage, s’il peut «être mis en mot». Le langage peut-il légitimement tenir lieu de la chose qu’il présente? Ou n’y a-t-il pas une part d’ineffable dans ce qui existe? Le langage se trouve-t-il donc dans l’incapacité à saisir et à exprimer certaines situations?

La vidéo Love Songs représente un homme et une femme assis côte à côte dans un salon face à un piano: l’homme joue pendant que la femme chante. Alors qu’ils répètent leur répertoire, des phrases de diverses couleurs s’affichent les unes après les autres sur l’écran.
«Something that is always present but hardly noticed»: savons-nous encore être attentifs à ce qui tombe habituellement sous notre regard? La permanence d’une chose visible ne la rend-elle pas paradoxalement invisible, puisque nous risquons alors de ne plus la remarquer, comme si elle faisait partie du décor?
Et, comme pour contrer notre inconstance, Robert Barry énonce: «Something that must be considered with caution» (Quelque chose qui doit être considéré avec attention).

Ainsi, si le langage est au cœur des pratiques et des préoccupations de Robert Barry, c’est notamment pour interroger sa capacité à qualifier les choses. En effet, on remarquait déjà dans Love Songs que la plupart de ses assertions débutait par «Somethnig that is…», comme s’il s’agissait d’essayer de déterminer une chose ou une situation qui serait justement indéterminée, mais qui, par un effort de perception et d’intellectualisation, pourrait finalement être cernée et caractérisée.

La vidéo It is approfondit cette quête d’identification et de détermination de «ce qui est». Ici, une collection d’adjectifs sont rattachés les uns aux autres pour tenter de dire précisément ce qu’est ce «it is».
«It is whole, determined, sufficient, individual, known, complete, revealed, accessible, manifeste, effected, effectual, directed, dependant, distinct, planned, controled, unified…» La liste des prédicats défile ainsi pendant près de quinze minutes. Un être ou une substance semble donc détenir des caractères propres qu’il nous faut saisir, si l’on veut savoir quelle est son essence. La connaissance de ce qu’est un être passe par une définition de cette chose et une détermination de ses attributs.

Les vidéos de Robert Barry offrent également tout un questionnement sur le mouvement, le déplacement et le voyage, avec le triptyque Coming and Going, Coming Over et Coming to an End.
La vidéo Coming and Going propose un plan fixe sur une scène de vie apparemment banale: on a une vue sur une vitrine avec une rue passante et un escalier. Pourtant, le mouvement des personnes allant et venant, apparaissant et disparaissant du champ de la caméra, dénote une composition complexe du plan. Avec l’escalier, les gens montant entrent dans notre champ de vision, alors que les gens qui descendent se dérobent et entrent dans un espace qui demeure inaccessible à notre perception. La vitrine offre, quant à elle, une vue sur la réalité extérieure avec les passants et avec les personnes qui poussent la porte, et rejoignent le flux de la rue.
Aussi, les reflets de la vitrine nous permettent d’apercevoir ce qui se passe dans le dos de la caméra, comme si l’envers du plan émergeait de temps à autres accidentellement.

La vidéo Coming Over est constituée à partir d’une caméra embarquée dans une voiture traçant sur le périphérique. Nous sommes alors assaillis de signifiants: panneaux de signalisation, de priorité, d’interdiction, de limitation, marquage au sol, écriteaux des stations-services, publicités, phares et clignotants, panneaux indiquant les directions possibles et les distances.
Dans cet univers policé et codifié, littéralement saturé de signes, nous suivons des voies balisées qui invoquent notre capacité à lire et interpréter ces signes, à anticiper ce qui se joue dans notre environnement proche. C’est une lecture continue, au cours de laquelle le véhicule poursuit sa route jusqu’à ce qu’il bifurque dans un quartier résidentiel mal éclairé et vierge de toute indication.

Si ces œuvres se réduisent principalement au langage, l’art conceptuel que développe Robert Barry prend parfois des tournures encore plus minimalistes, notamment au travers des deux œuvres que sont Red Seconds et Scenes (sa toute première œuvre d’ailleurs, datant de 1967). En effet, l’une projette un carré rouge qui apparaît et disparaît tour à tour, tandis que l’autre projette une bobine vierge, où seule apparaît pendant un court laps de temps une image représentant quelques plantes, comme s’il s’agissait d’une image subliminale émergeant du néant.

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