ART | EXPO

Lieux communs, rétrospective II

21 Jan - 26 Fév 2011
Vernissage le 22 Jan 2011

Artus de Lavilléon soulève la question de savoir ce qui différencie un lieu de consommation d’un lieu d’art dans le travail d’identification et de diffusion de l’oeuvre, tout en invitant à réfléchir sur les moyens qu’a l’artiste de montrer son travail «lorsqu’il refuse l'achat comme moyen premier de la reconnaissance d’une oeuvre».

Artus de Lavilléon
Lieux communs РR̩trospective II

«Je pense qu’il ne faut pas installer les sarcophages de valeur, les Mecque pour la prosternation». Kazimir Malevitch in Sur le musée, février 1919.

Pour sa troisième exposition personnelle à la galerie Patricia Dorfmann, Artus de Lavilléon présente «Lieux Communs», une rétrospective de ses derniers travaux. L’expression «lieu commun» loin du sens péjoratif qu’on lui donne dans le langage courant, garde dans le travail d’Artus son sens étymologique du latin locus (lieu) et communes (communs), ou encore topos, en référence au mot grec signifiant le «lieu».

Aristote est le premier à en parler dans sa Topique. Pour lui, les lieux communs sont «les idées les plus générales, celles que l’on peut utiliser dans tous les discours, dans tous les écrits». Les lieux communs sont une base d’entente nécessaire aux dépassements des tensions, des contradictions, des conflits que l’argumentation peut susciter. Si les lieux communs semblent parcourir l’ensemble de l’oeuvre d’Artus, ils lui permettent d’élaborer son discours en se fondant sur des idées universelles. Dans ses grands dessins noir et blanc, Artus utilisait déjà les stéréotypes du cinéma populaire américain — cliché du héros sauveur, du cowboy ou encore du boxeur —, les lieux communs sont ici tantôt utilisés en plaidoyer, tantôt en «table de mémoire» proclamant des citations inspirées de ses lectures.

Ainsi, dans ses peintures «améliorées» — selon le terme créé par Marcel Duchamp* —, on retrouve des fragments de littérature empruntés à Flaubert ou à d’autres auteurs comme «Une conception particulière de l’art le forçait à ne créer que poussé par l’inspiration» ou «La beauté dépend du portefeuille de celui qui l’achète». Peut-on créer sans être uniquement poussé par l’inspiration? La beauté peut-elle se suffire à elle-même sans dépendre du marché qui la justifie? Artus nous interroge sur la notion même du lieu commun, qui doit se transformer pour passer d’une idée anciennement admise à une notion plus polémique.

Dans le grand triptyque Lieu commun I, Artus exalte ses idéaux, aux travers d’expressions largement utilisées dans ses écrits: «En art comme dans la vie, on a besoin de vérité, pas de sincérité» (Malevitch amélioré* par Artus), et «Le courage de ne rien être, personne ne l’a jamais» dixit Artus. Au centre de l’oeuvre, l’artiste représente son corps nu, apaisé dans un mouvement de lévitation, comme hors du temps. La peinture surplombe une autre de ses phrases phares «Il ne faut pas faire pour être, mais être pour être» extraite cette fois du Manifeste de l’art posthume, écrit en 2004.

Sur la partie droite de l’oeuvre, Artus fait entrer une autre voix, celle de sa mère, avec une note qu’elle avait laissée sur sa porte «Bienvenue à l’impasse de la lucidité», ainsi qu’un bout de phrase non achevé: «Celui qui n’a pas de radeau…», ce qui implique indubitablement sa fin «…est sûr de couler». Les lieux communs ne se limitent pas seulement à des phrases, ce sont aussi des endroits regroupant sous un même terme les lieux d’expositions, les lieux d’art — ici la galerie —, et les lieux de commerce, de vie (boutiques, grands magasins et autres librairies).

En effet, depuis 2009 les derniers travaux d’Artus ont tous été montrés en dehors du contexte du marché de l’art classique: son installation Tout ou rien (2009) a eu lieu dans une boutique de vêtements à la mode, pendant que ses dessins préalablement déchirés étaient exposés dans la galerie lui faisant face et sur la porte de laquelle on pouvait lire: «La galerie sera fermée durant toute la durée de l’exposition». Sa performance Consumérisme, chronique d’un enfermement volontaire (2009) a été réalisée dans un temple de la consommation parisien, et son exposition la plus récente «Papiers importants divers et variés» (2010) prenait place dans une boutique de bijoux lambda.

Artus soulève ainsi la question de savoir ce qui différencie un lieu de consommation d’un lieu d’art dans le travail d’identification et de diffusion de l’oeuvre, tout en invitant à réfléchir sur les moyens qu’a l’artiste de montrer son travail «lorsqu’il refuse l’achat comme moyen premier de la reconnaissance d’une oeuvre».

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