ART | CRITIQUE

Lessness

Vernissage le 01 Mar 2003
PCaroline Lebrun
@12 Jan 2008

L’installation Lessness (néologisme anglais dû à Beckett) donne son titre à l’exposition dans laquelle les œuvres sont réunies sous le signe de la vacuité, de l’absence, des ruines. Terrain vague métaphorique, l’exposition est également le champ d’une reconstruction ou plus exactement d’un devenir.

Passage barré, monde interdit : le spectateur rentre par effraction. Une installation de bois et plexiglas noir, en forme de « X » monumental, ouvre et ferme l’espace d’exposition. Elle obstrue l’entrée principale. Violation d’intimité ou transgression : nous pénétrons dans un monde clôturé dont nous sommes rapidement captifs. Enserrés dans l’univers mystérieux tissé par les œuvres, nous restons prisonniers d’une énigme.

Le son participe à la stratégie d’encerclement. L’installation Lessness est pourvue d’un système audio qui diffuse en boucle le même motif musical. Semblable aux mélodies reproduites par les boîtes à musique, l’air devient sournoisement tenace. Obsessionnel, répétitif, lancinant : sa persistance s’amplifie jusqu’à l’angoisse.

L’installation emprunte son titre à la traduction anglaise de Sans, texte en prose de Samuel Beckett — le néologisme « Lessness » visant à désigner « un mélange de privation et d’infini », à exprimer « l’absence en soi, l’absence à l’état pur », comme Beckett lui-même le confie à Cioran. Ruines, horizon sans fin, petit corps à face grise sont les thèmes récurrents du texte qui évoque le cataclysme final.
« Éteint ouvert quatre pans à la renverse vrai refuge sans issue (….) Faces sans trace blancheur calme enfin aucun souvenir (…) Petit corps soudé gris cendre face aux lointains. (…) Cube vrai refuge enfin quatre pans sans bruit à la renverse » (Samuel Beckett, Sans, Paris : Éd. de Minuit, 1969).

L’installation Lessness donne son titre à l’exposition dans laquelle les différentes œuvres sont réunies sous le signe de la vacuité, de l’absence, des ruines. Terrain vague métaphorique, l’exposition est également le champ d’une reconstruction ou plus exactement d’un devenir. Le devenir est explicitement évoqué dans le titre d’une œuvre (en forme de fenêtre verte en plexiglas) et de la série de sculptures à laquelle elle appartient : All Moments Stop Here And Together We Become Every Memory That Has Ever Been.

Dans la seconde salle, une autre installation sommeille. Inspirée des dispositifs minimalistes, The Dancer and the Dance est constituée de l’agencement géométrique et dépouillé de seize piliers d’aluminium. Malgré sa rigueur et sa simplicité, l’œuvre fait un usage quelque peu détourné du Minimal Art.
« Ugo Rondinone investit les données architecturales et sculpturales issues des théories plastiques minimalistes selon un point de vue résolument plus cynique et plus critique » (Christiane Van Assche, commissaire de l’exposition Roundelay, actuellement présentée au Centre Pompidou).
Un petit oiseau morose dessiné au marqueur noir à plusieurs endroits de la partie basse de l’installation réintroduit le détail dans cette esthétique épurée. Les dessins successifs relatent les étapes de la vie d’un oiseau solitaire : assis sur un nid, marchant dans la rue, assis sur un lit, regardant par la fenêtre, descendant l’escalier, en train d’uriner, se regardant dans le miroir, marchant dans la campagne, etc. Succession d’actions comme autant d’états passifs.
Le son amplifié d’une profonde respiration est diffusé au travers de trous noirs répartis sur l’ensemble du dispositif. Le mouvement régulier du souffle, proche du ronflement, se poursuit à l’infini. Il se mêle étrangement à la mélodie entêtée de Lessness. La combinaison sonore obtenue est proche de celle présente dans l’installation Roundelay qui associe également une respiration à la répétition d’un motif musical.

Bien que les quatre œuvres réunies dans l’expositions soient des pièces autonomes, le mixage des sons les relient et en suscite une lecture transversale. Tandis que les quatre masques de Moon Rise, présentés par paires dans chacune des deux pièces, assurent une troublante circulation du sens. Moulés en latex sur des masques en bois africains, ces parfaits simulacres redonnent souffle à l’art primitif. Moon Rise, « Lever de Lune » est peut-être une promesse de vie dans le crépuscule de Lessness…

La récurrence du chiffre quatre dans le choix du nombre d’œuvres, du nombre de masques et dans la forme du « X » n’est peut-être sans doute pas hasardeuse si l’on songe à la persistance de ce chiffre dans le texte Sans de Samuel Beckett : « Noir lent avec ruine vrai refuge quatre pans sans bruit à la renverse. Jambes un seul bloc bras collés aux flancs petit corps face aux lointains. »

Ugo Rondinone
— Lessness, 2003. Installation, bois, plexiglas, haut-parleurs, système audio. 280 x 400 x 40 cm.
— MoonRise, 2003. Latex. Dimensions variables.
— The Dancer and the Dance, 2002. Installation, 16 piliers aluminium, haut-parleurs, système audio. Dimensions variables, pilier : 275 x 25 x 25 cm.
— All moments stop here and together we BECOME every memory that has ever been, 2003. Plexiglas. 150 x 160 x 4 cm.
— Moonlighting n°10, 2002. C-print, aluminium.164 x 120 cm.
— I don’t live here anymore, 1995-2001. C-print, plexiglas, alucobond. 75 x 50 cm.
— Moonlighting n°4, 2002. C-print, aluminium.164 x 120 cm
— Moonlighting, 1999. C-print. 32,50 x 26,50 cm.
— The evening passes like any other, 2000. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 50 x 70 cm.
— N° 297 ZWANZIGSTERJANUARZWEITAUSENDUNDDREI, 2003. Acrylique sur toile. Ø 220 cm.
— N° 298 ZWANZIGSTERJANUARZWEITAUSENDUNDDREI, 2003. Acrylique sur toile Ø 220 cm.
— N° 275 SIEBTERMAIZWEITAUSENDUNDZWEI, 2002. Acrylique sur polyester. 150 x 400 x 4,50 cm.
— N° 304 ELFTERFEBRUARZWEITAUSENDUNDDREI, 2003. Acrylique sur polyester. 150 x 300 x 4,50 cm.
— N°209 DREISSIGSTERJUNIZWEITAUSENDUNDNULL, 2000. Acrylique sur polyester. 150 x 400 x 4,50 cm.
— All moments stop here and together WE become every memory that has ever been, 2003. Plexiglas. 150 x 160 x 4 cm.
— All moments stop here AND together we become every memory that has ever been, 2003. Plexiglas. 150 x 160 x 4 cm.

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