PHOTO | CRITIQUE

L’espace entre nous, Alec Soth

PMuriel Denet
@05 Mai 2008

Les paysages, les portraits, et les détails retenus dans le cadre mûrement réfléchi du photographe Alec Soth traduisent la disjonction et la déliquescence, aux antipodes de l’Amérique clinquante des séries télévisées. La faillite, si ce n’est du rêve américain, au moins de son image hégémonique, devenue invérifiable.

Alec Soth, photographe américain, adoubé par Magnum en 2004, expose au Jeu de Paume de larges extraits des séries Niagara, Sleeping by the Mississipi, et Dog Days, produites au cours de ces dernières années. Une occasion de vérifier la qualité formelle d’un travail méticuleux, et de longue haleine, qui perpétue la grande tradition du documentaire photographique américain.

Proche de la découpe clinique et frontale d’un Walker Evans, associée au sens de l’espace et de la couleur d’un Stephen Shore, sensible à l’ordinaire et aux revers de décor, tel un Eggleston ou un Lee Friedlander d’American Monument, la photographie d’Alec Soth dresse un état des lieux sans concession d’une Amérique qui se délite.
Charriant les stéréotypes comme les détritus, du Mississipi aux chutes du Niagara, au fin fond du Minnesota comme en Colombie, ces images, qui regorgent de la multitude de détails prodigués par une chambre grand format et une absolue netteté, sont celles d’une Amérique précaire, de motels, et de mobil homes, de murs décrépis, de laissés pour compte, ou de couples tellement ordinaires qu’ils en deviennent pathétiques.

Rencontrés au hasard d’un road movie au ralenti, les modèles, épinglés dans une pose qui suspend temps et regards, même vêtus, paraissent aussi nus que les couples en lune de miel des motels de Niagara. Vulnérables, dans des décors aussi souffreteux que les corps.
À rebours d’un quelconque instant décisif héroïque, détails, paysages, portraits, retenus dans un cadre mûrement réfléchi, qui ordonne rigoureusement le visible en tensions ténues, et parfois incongrues, tissent, à la manière des séquences d’American Photographs de Walker Evans, une trame plus poétique que narrative.

Lit d’hôpital déglingué dans une maison en lambeaux, fil à linge tendu sur le silence de la neige, cimetière et station-service étrangement accolés, marais sauvages et pollués, ça sent la poussière et la vase, la disjonction et la déliquescence, aux antipodes de l’Amérique clinquante des séries télévisées. S’il se défend de toute posture critique, Alec Soth, avec une virtuosité délectable, éclaire néanmoins la faillite, si ce n’est du rêve américain, au moins de son image hégémonique, devenue invérifiable.

Alec Soth
— Sleeping by the Mississippi, 2004. 17 photos couleur.
— Niagara, 2006. 13 photos couleur.
— Dog Days, Bogotá, 2007. 21 photos couleur
— Portraits. 9 photos couleur.
— Fashion Magazine, janvier-mars 2007. 11 photos couleur.

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