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L’Espace de la perturbation

PClémentine Aubry
@12 Jan 2008

Les nouvelles Lignes indéterminées libèrent la sculpture de tout idéalisme subjectiviste, et laissent place au hasard dans le combat de l’artiste contre l’acier. La matière transformée sculpte l’espace autour de l’œuvre.

La taille des Lignes indéterminées de Venet invite le spectateur à s’approcher, bien qu’elles ne semblent pas issues de la main de l’homme, sauf à imaginer un géant démiurge capable de les plier comme du vulgaire fil de fer. En effet, ces rubans d’acier enroulés sur eux-mêmes, dépourvus d’éléments soudés ou rapportés, portent les stigmates du combat entre l’acier et l’artiste: arêtes vrillées, brutalité de certains coudes et sections arbitraires.

C’est la puissance du geste de l’artiste, la force nécessaire pour ployer ces poutrelles, et de sa victoire finale sur la matière, qui apparaît. Indéterminées, ces lignes le sont aussi sur le plan géométrique, puisqu’elles tendent alternativement vers l’horizontale, la verticale ou l’oblique tout en conservant une morphologie circulaire. C’est précisément ce mouvement concentrique dont elles semblent avoir été animées qui leur donne leur puissance un peu dangereuse.

Quand elles sont groupées, solidaires ou mitoyennes, les lignes semblent échouées là comme après un cataclysme qui leur aurait donné leurs formes tortueuses. Sous la main de l’artiste la forme devient difformité, et les lignes recroquevillées, comme traumatisées, s’appuient parfois les unes contre les autres comme pour trouver leur équilibre, confuses et empruntées sur le parquet de la galerie.

Dans l’œuvre de Venet, les Lignes indéterminée remontent aux années 1980, avec l’exploit technique et physique de la torsion de ces épaisses poutrelles d’acier de section carrée, à l’opposé de toute gestualité expressive et de toute intervention subjective.
Les nouvelles Lignes indéterminées sont beaucoup plus aléatoires, moins contrôlées, afin de libérer davantage la sculpture de toute contrainte de composition et de « l’utopie d’un ordre idéal ».
Elles témoignent d’un dur combat que l’artiste a mené avec la matière pour la plier (au sens propre) à sa volonté, tout en lui concédant une certaine autonomie, et en maintenant sensibles ses caractères propres : la couleur (rouille ou noire), le poids, la rigidité et la froideur du métal qui a été chauffé.

Ces pièces présente le grand intérêt de conserver une taille humaine, contrairement à celles plus monumentales, dans lesquelles dominent le gigantisme et la prouesse technique, présentées dans différents sites urbains : dernièrement le jardin des Tuileries, bientôt Park Avenue à New-York.

Les Lignes indéterminées confrontent deux forces : la force intrinsèque de la matière et de la forme, et la force plus extrinsèque qui définit l’espace entourant la sculpture et agit sur lui. Selon Bernar Venet, les Lignes indéterminées créent «une altération, une désorganisation, une perturbation» de l’espace.
Pour Catherine Millet les Lignes Indéterminées «se déploient dans l’espace mais sans négocier avec lui. Elles ont fonction non de définir l’espace mais de le rendre aussi indéterminé qu’elles».

Les sculptures de Venet suggèrent autant l’éclatement que le resserrement ; autant la chaleur que le froid ; autant l’indétermination de l’objet final, sans but et sans origine, que l’extrême maîtrise artistique.

Enfin, quand Bernar Venet libère ses nouvelles Lignes Indéterminées de toute contrainte technique ou physique pour leur donner vie et corps de manière presque autonome, il se situe au-delà du clivage entre abstraction et figuration.

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