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Les Tarifs de la culture

Enjeux et stratégies des tarifs sont au cœur de la politique culturelle des institutions. Comment les évaluer ? Les définir ? Quelle est la place de la gratuité ? Analyse et bilan des pratiques en cours et des initiatives prises pour chaque secteur culturel sont décryptés par un spécialiste.

— Auteurs : sous la direction de François Rouet : Anne-Marie Bertrand, Xavier Dupuis, Anne Gombault, Sabine Lacerenza, Sylvie Octobre, Charles Robillard, Olivier Chaudenson, Delphine Samsoen.
— Éditeur(s) : La Documentation française, Paris
— Collection : Questions de culture
— Année : 2002
— Format : 24 x 16 cm
— Illustrations : aucune
— Page(s) : 383
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-11-005275-9
— Prix : 20 €

Introduction : le retour de la question tarifaire
par François Rouet (extrait)

La question tarifaire est à l’ordre du jour. Comment faut-il fixer les tarifs des activités culturelles non marchandes ? Quel doit être leur niveau ? Quel degré de modulation faut-il envisager ? Au-delà de ces interrogations sur les pratiques tarifaires, quels sont les principes sur lesquels doit s’appuyer la tarification ? D’ailleurs, qui doit décider des tarifs dans les institutions culturelles subventionnées : les autorités de tutelle ou les responsables d’institutions ? La gratuité a-t-elle toujours une place ? Quelle importance accorder à la fixation des tarifs ? Et que peut-on attendre de leur variation en termes de fréquentation et de public ?

Si, dans les institutions culturelles, on voit souvent affleurer les questions de principe et de politique tarifaire lors de la fixation et de la révision régulière des tarifs, il est par contre récent qu’elles se trouvent posées ou reposées publiquement. Cela s’est fait au travers de multiples initiatives. Les unes, à forte visibilité, émanent du ministère de la Culture au travers des mesures instaurées en 1999 par Catherine Trautmann qui étendaient aux musées et monuments nationaux la gratuité du premier dimanche du mois mise en place au Louvre sur décision de Philippe Douste-Blazy en 1996 et de la formulation dès 1998 de quasipréconisations tarifaires à l’attention des organismes subventionnés [Notamment à travers la « Charte des missions de service public pour le spectacle » d’octobre 1998].

D’autres, de loin les plus nombreuses et les plus diversifiées, sont le fait d’abord de collectivités territoriales lorsqu’elles s’engagent dans la création de cartes ou plus rarement de chèques à l’intention de certains publics jeunes ou défavorisés : la carte culture Strasbourg et le chèque culture Rhône-Alpes sont précurseurs et emblématiques mais ne doivent pas masquer le foisonnement de tels dispositifs. Ces initiatives sont aussi le fait des institutions culturelles elles-mêmes au travers de leurs propositions tarifaires : si certaines se sont montrées originales et innovantes, de la scène nationale de Montbéliard créant sa propre monnaie — le « sponeck » — à la tarification mise en place par Stanislas Nordey au théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, la plupart s’attachent, en jouant d’une palette de tarifs et d’une discrimination positive plus ou moins poussée, à fidéliser un ou des publics, à renforcer les liens avec lui. Elles attestent du souci largement partagé de « placer le public au cœur de la vocation des institutions » [Pour reprendre la formule de Catherine Tasca dans sa présentation du projet de loi relatif aux musées de France (21 mars 2001) : « Placer le publie au cœur de la vocation du musée. »], ce qui prouve d’ailleurs a contrario que cela ne va pas forcément de soi et n’est pas toujours le cas.

Tout ce qui se dit et s’écrit sur la tarification, et participe donc de la mise en débat de la question tarifaire, laisse pourtant un curieux sentiment d’incertitude et de perplexité : ce qui a trait à la tarification est attirant, voire attractif, comme si l’on touchait là à quelque chose d’essentiel et l’on sait, en effet, l’importance des prix dans la vie courante. Ce sentiment est encore renforcé par le fait qu’il semble exister une réelle latitude d’action en la matière, de véritables possibilités de « manipulation tarifaire ». Or, dans le même temps, la culture sociologique s’est diffusée suffisamment pour que le poids des déterminations sociodémographiques ne puisse être oublié et vienne en permanence relativiser le rôle du prix pour modifier les fréquentations, infléchir les pratiques et combattre les inégalités héritées. Les travaux de Pierre Bourdieu et les résultats des enquêtes sur les pratiques culturelles en attestent et sont parfois d’autant mieux reçus qu’ils viennent conforter un vieux réflexe culturel de dénégation de l’économique [Olivier Donnat, Les Pratiques culturelles des Français. Enquête 1997, Paris, DEP, Ministère de la Culture et de la Communication/La Documentation française, 1998]. L’interrogation sur la réactivité de la demande à l’égard des variations de prix (son « élasticité ») est ainsi souvent balayée au nom d’un présupposé qui voudrait que la demande dans le secteur culturel soit globalement inélastique [Voir entre autres à ce sujet Marianne V. Felton, « On the assumed inelasticity of demand for the performing arts », Journal of Cultural Economics, vol. 16, n° 1, juin 1992, p. 1-12]. Un présupposé, en grande partie idéologique, qui n’a pourtant jamais fait l’objet d’une démonstration convaincante et qui a même été parfois contredit [voir par exemple, dans le cas du théâtre, Louis Lévy-Garboua, Claude Montmarquette, « Comportement des ménages : une étude économétrique de la demande de théâtre sur données individuelles », Économie et prévision, n° 121, mai 1995, p. 109-126]. Mais il est vrai que les rares données empiriques disponibles sont parfois peu concluantes [On remarque ainsi une faible corrélation entre le montant des tarifs d’une part et le niveau de fréquentation d’autre part aussi bien dans les musées de province que dans les monuments historiques les plus fréquentés.]. En un mot, la tarification serait tout à la fois cruciale et marginale. Mais si tout se jouait à la marge…

Cette introduction est largement redevable aux discussions avec Xavier Dupuis lors de la définition et de la mise en œuvre du programme du Département des études et de la prospective sur la tarification. Je tiens à l’en remercier même si je garde l’entière responsabilité de ce texte.

(Texte publié avec l’aimable autorisation de François Rouet et de La Documentation française)

Les auteurs
François Rouet est chargé d’études au Département des études et de la prospective du ministère de la Culture et de la Communication.
Anne-Marie Bertrand est conservateur général des bibliothèques et docteur en histoire. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages sur les bibliothèques dont les plus récents : Les Villes et leurs bibliothèques : légitimer et décider (1945-1985), Cercle de la librairie, Paris, 1999; Les Publics des bibliothèques, CNFPT, Paris, 1999; Les Bibliothèques municipales : enjeux culturels, sociaux et politiques, Cercle de la librairie, Paris, 2002.
Xavier Dupuis, chercheur au CNRS, est professeur associé à l’université de Paris IX-Dauphine où il dirige le DESS de gestion des institutions culturelles et le groupe d’études et de recherches sur les organisations culturelles (Géroc). Il a consacré tous ses travaux à l’économie de la culture en s’attachant particulèrement au spectacle vivant et au thème de l’évaluation des politiques publiques.
Anne Gombault, docteur en sciences de gestion, est professeur permanent à l’École supérieure des sciences commerciales d’Angers (Essca) où elle enseigne la gestion des ressources humaines, la théorie des organisations et la stratégie. Ses recherches portent principalement sur le comportement des organisations et notamment sur les musées.
Sabine Lacerenza, sociologue, est chef de projet au sein de l’Association pour le développement de la création études et projets (Adcep), en charge de la coordination de la Fête de la musique. Elle est l’auteur d’études et d’articles sur la question de la tarification et plus particulièrement sur les dispositifs mis en place par les équipements culturels et les collectivités locales en direction des jeunes.
Sylvie Octobre, chargée d’études au Département des études et de la prospective (Dep), pilote actuellement un projet d’études des loisirs des 6-14 ans. Elle a travaillé sur la profession de conservateur puis s’est intéressée aux pratiques culturelles notamment muséales.
Charles Robillard et Olivier Chaudenson sont respectivement président-directeur et directeur adjoint d’Argos Culture, agence d’ingénierie culturelle qui réalise des étdues et conçoit des événements culturels.
Delphine Samsoen, dilpômée d’HEC et du DESS de gestion des institutions culturelles (Paris IX-Dauphine), est chef du service administratif et financier de la direction du développement culturel au musée du Louvre. Elle a travaillé sur la question des droits d’entrée dans les musées.