DANSE | CRITIQUE

Les Sentinelles (+entretien vidéo)

PCéline Piettre
@14 Mai 2010

Une route défile en arrière plan, la musique se répète en boucle, deux corps quasi-inertes imposent avec force leur présence. En un étrange unisson, les sœurs Belaza, réunies une fois encore sur scène, élèvent cette dernière création au sommet de l’art de son auteur.

Entre immobilité et mouvement, suspendues à la lisière du visible, Les Sentinelles éprouvent une éternité intérieure hachée de fulgurances. Traversant le plateau d’un pas si lent qu’il en devient imperceptible, elles brisent le lien entre l’espace et le temps pour s’inscrire dans une immédiateté à chaque instant renouvelée. La danse, située en amont de toute tentative de récit, anime un vide, le révèle; questionne la présence. La lenteur est ici métaphore d’un voyage intérieur qu’une vie ne suffit pas à parcourir, et que l’idée de la mort sans cesse habite.

La pièce est faite d’attentes, d’écoutes vigilantes, de veilles prolongées. Le vent brûlant du Désert des tartares souffle sur le plateau. Comme dans le roman de Dino Buzzati, il ne se passe rien. L’ennemi ne vient pas mais finit par montrer son vrai visage: le temps et sa fuite perpétuelle. D’où ce combat, cette résistance, cette tentative de s’ancrer, de s’abîmer dans le présent, en une paralysie active. Avancer, mais en toute conscience, sans céder à l’ivresse de la vitesse, affronter sa propre impatience, s’accorder à l’espace alentour, là réside la victoire. Etre au monde, être vivant.

Le corps des deux danseuses, concentré à l’extrême, vibre tout entier d’une musique lancinante et hypnotique dont il est la caisse de résonnance. Doté d’une formidable force centripète, il attire notre attention comme la flamme le papillon de nuit. Car la danse de Nacera Belaza est avant tout une rencontre. Le déplacement, d’abord physique, du fond au devant de la scène, puis métaphysique, avec ce road movie introspectif et existentiel, se mue en un trajet de soi vers l’autre. Le face à face final, rendu anonyme par l’obscurité croissante, est un très beau moment d’intimité partagée.

Délivrant une intensité rare, la création de Nacera Belaza est à la hauteur de son œuvre toute entière : profonde, spirituelle, subtilement épurée. L’esthétique minimale est toujours aussi convaincante, de la lumière crue des premières minutes, qui révèle les traces d’usure du sol à l’image des phares d’une voiture, à la pénombre finale; du choix de la vidéo à celui de la musique. Tout est calculé au millimètre près, maîtrisé à la perfection, jusque dans cette hystérie partagée où les corps, devenus énergie pure, semblent se démultiplier à l’infini. Si bien que la seule chose qu’on pourrait reprocher à la chorégraphe d’origine algérienne est cette excellence même, dont le revers serait de nuire à la spontanéité du spectacle, voire à son humanité.

Entretien avec Nacera Belaza par Smaranda-Olcèse Trifan

Entretien avec Nacera Belaza from Rencontres chorégraphiques on Vimeo.

— Chorégraphie: Nacera Belaza
— Interprétation: Dalila Belaza, Nacera Belaza
— Lumière: Eric Soyer
— Conception vidéo et bande son: Nacera Belaza
— Montage son: Christophe Renaud et Titou
— Montage vidéo: Christophe Renaud

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