ART | EXPO

Les Ruines du futur

26 Juin - 03 Oct 2010
Vernissage le 25 Juin 2010

Fruit de l’histoire de l’art et de l’architecture, le château d’Oiron invite des artistes d’aujourd’hui à imaginer le monde de demain. Qu’il s’agisse de textes, de peintures, de films, le devenir-ruine du monde et l’obscurité du futur sont des thèmes récurrents de l’art.

Pierre Besson, Jean-Sylvain Bieth, Alain Declerq, Philippe Hurteau, Nicolas Moulin, Anne et Patrick Poirier, Atlas Group (Walid Raad), Fayçal Baghriche, Alain Bublex, Raphaël Zarka, Louidgi Beltrame
Les Ruines du futur

Dans le cadre de la manifestation nationale «Monuments et Cinéma», le château d’Oiron organise une exposition d’art contemporain intitulée «Les Ruines du Futur» et des projections de films.

Fruit de l’histoire de l’art et de l’architecture, le château d’Oiron invite des artistes d’aujourd’hui à imaginer le monde de demain.

La guerre de Troie, racontée dans la galerie Renaissance, offre une vision sombre du monde: ravages de la guerre, combats mortels. Ces thèmes hantent l’histoire de l’art. Aujourd’hui encore, les artistes interprètent ces récits sous les formes les plus diverses, films, peintures, installations. Si l’histoire fait sens, elle vit ici déjà dans le futur.

Villes en flammes, paysages de ruines, visages d’effroi, combats violents: le cycle peint en 1550 dans la galerie Renaissance du château d’Oiron s’offre comme une vaste fresque racontant la Guerre de Troie, découpée en quatorze scènes, disant notamment l’horreur possible, la mort permanente, la destruction du monde à chaque instant menaçante.

Dans ces enchevêtrements de corps en lutte, d’architectures en flammes se lisent les signes des catastrophes: la guerre pour la conquête de nouveaux territoires, les trahisons des promesses, les malheurs. Le récit en a été transcrit vers 1540, Claude Gouffier en a choisi certains passages et commandé la représentation, tel un metteur en scène, témoignant ainsi de la force de l’image sur «grand écran».

Ce cycle à l’esprit humaniste devait incarner des intentions morales et religieuses: cette suite de catastrophes était «due aux dérèglements des hommes» (Jean Guillaume, in La galerie du grand écuyer, 1996), l’exposer devait amener à repenser le monde.

Cette vision parfois tragique, parfois héroïque n’a cessé de hanter l’histoire de l’art. Depuis l’Antiquité, les artistes y ont trouvé une source d’inspirations. Qu’il s’agisse de textes, de peintures, de films, le devenir-ruine du monde, l’obscurité du futur, la violence entropique, la dépossession sont des thèmes récurrents de l’art.

Face aux utopies du progrès, du bonheur, de la conquête de nouveaux horizons –technologiques, numériques ou simplement spatiaux– qui finissent souvent par se retourner contre leurs objectifs, d’autres regards mettent en alerte, en révélant le danger des croyances inébranlables: ainsi s’élaborent des pensées du doute, de la suspicion.

Et si, inséparables de ces utopies modélisant la perfection de la modernité, le monde n’engendrait-il pas en retour le récit dystopique, entendu comme une utopie négative? La dystopie anticipe les aspects terrifiants, voire destructeurs, de l’idéalisme progressiste.

Dans un livre fulgurant publié en 1979, Les Ruines du futur, Yves Stourdzé annonçait l’éclatement des paradigmes organisationnels du monde laissant place à des réseaux enchevêtrés où «des machines virtuelles, ossature de la simulation, viennent prendre le relais».

Les clignotements électroniques, les pulsations indicielles rythment et déterminent désormais l’accélération de la ville, qui, à mesure de ses branchements, se fige de plus en plus. «Le monument immobile, le monument en mouvement le défait.» La ville s’oppose au continuum historique, elle construit, détruit, recouvre, enfouit pour réapparaître, objet de toute réincarnation virtuelle.

Ce mixage des temporalités induit toutes les mutations, et ruine par avance le présent, par la disparition des données.

L’exposition sera une projection et une actualisation de ces enjeux. Alors que le modernisme est lui-même devenu un monument –une ruine du futur– les artistes portent la mémoire des grandes catastrophes du vingtième siècle.

Ils travaillent dans une époque de doutes et de crises sans précédent, que ce soit dans le champ économique, écologique ou idéologique. L’ange de l’histoire regarde vers le passé mais «la tempête du progrès» l’entraîne en avant (Walter Benjamin).

Images de ruines, décors de la cité, vestiges d’un autre temps. «Le gage d’une histoire. L’assurance d’une pérennité. La fiction d’une immortalité.» (Y.S.). En scrutant l’avenir, les oeuvres apportent une liberté qui permet d’inventer le futur et donc de penser le présent.

Ainsi, les peintures de Philippe Hurteau dialogueront avec les scènes de la galerie Renaissance. Simulations du monde des écrans, de télévision ou de surveillance, visions orwelliennes des villes contemporaines, elles décrivent des intérieurs, des paysages où les machines régulent les comportements, où l’homme navigue entre la peur et le désir.

S’inscrivant dans une continuité de l’histoire picturale, il rend ainsi à la peinture sa capacité critique. Les caissons lumineux de Pierre Besson incarnent des intérieurs froids, technologisés, des architectures déshumanisées, des instances de contrôle où les sentiments semblent bannis. Ses images photographiques glacées renvoient autant au cinéma qu’à la science-fiction: elles invitent le spectateur à créer ses propres histoires.

La grande maquette d’Anne et Patrick Poirier, Exotica, offre au regard une conurbation noire, faite d’imbrications industrielles, de machines échouées, d’effondrements urbains, d’où plus rien n’émerge si ce n’est la certitude du chaos.

Ce chaos se retrouve dans les images et films d’Alain Bublex, racontant l’histoire de Glooscap, cette ville abandonnée –réelle, fictive?- au bord de l’océan, que la civilisation a peu à peu quittée, ne laissant derrière elle que fantômes et cauchemars. Le film, les cartes, les dessins esquivent les traces archéologiques d’un monde à la fois proche et lointain.

Le film de Jean Sylvain Bieth, Snuff Movie, repose sur un film tourné en 1944 dans la forteresse de Terezin transformée en cette occasion en une cité idéalisée. Ce film ne sera jamais monté, et tous ses figurants furent exterminés. Le film de Bieth, de même durée, en est la simple description littérale puisque l’écran demeure obstinément noir, seules des phrases apparaissent, disparaissent laissant au spectateur la responsabilité de voir, d’imaginer, ou non.

L’installation de Nicolas Moulin témoigne de ces mêmes capacités d’inventer des rêves de grandeur pour mieux masquer l’horreur du réel, en évoquant l’architecture démesurée d’un hôtel vide (33O m.), à jamais figé dans la mort, construit à Pyongyang en Corée du nord, afin de défier l’architecture occidentale. Son film, Warmdewar réinvente l’intérieur de cette épave, par des clairs-obcurs et des éclairages fantomatiques.

Les portraits d’Alain Declercq évoquent les figures égarées de combats soudain dérisoires au regard de l’histoire, combats qui n’auront pas même valeur mythique. Ses combattants échoués renvoient à l’inanité de la guerre, à la perte, et à la faculté d’oubli et de rejet.

Le film de Louidgi Beltrame, à la fois documentaire et onirique, dresse le portrait de l’île japonaise de Gunkanjima, autrefois exploitée pour son charbon, aujourd’hui totalement vidée de ses habitants, sorte de radeau abandonné où la nature tente de reprendre place dans l’entrelacs d’immeubles bétonnés surdensifiés.

L’oeuvre de Fayçal Baghriche est un portrait idéalisé du monde : nul autre signe que des étoiles sur un fond bleu. Toutes les autres caractéristiques visibles sur les drapeaux ont été effacées.

Deux autres vidéos ponctueront le parcours, celle de Raphaël Zarka consacrée à la grande bibliothèque de la capitale de Biélorussie, monstre-polyèdre tel un oeil de cyclope dominant la ville, et dont l’éclat, la nuit, rythme la vie.

L’installation d’Atlas Group (Walid Raad) forge une histoire documentaire qui rend les faits absurdes, en s’appuyant sur les événements guerriers du Liban.

Les installations permanentes de Philippe Ramette, Monument pour le futur, et de Cyprien Gaillard, La Grande allée d’Oiron, s’inscrivent dans cette perception retro-perspective de l’histoire de l’art et du monde, sur laquelle le château d’Oiron fonde ses activités.

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