ART | EXPO

Les poissons, selon l’arrivage du jour

25 Nov - 21 Jan 2012
Vernissage le 24 Nov 2011

L'artiste suisse Eric Hattan cultive une certaine clairvoyance en dérangeant l'ordre des choses. Qu'il s'agisse de l'espace urbain ou de celui d'un centre d'art, chaque situation est l'occasion d'un déplacement, d'un décentrement du regard et d'une perturbation du sens donné.

Eric Hattan
Les poissons, selon l’arrivage du jour

L’artiste suisse Eric Hattan cultive une certaine clairvoyance en dérangeant l’ordre des choses. Qu’il s’agisse de l’espace urbain ou de celui d’un centre d’art, chaque situation est l’occasion d’un déplacement, d’un décentrement du regard et d’une perturbation du sens donné. Il s’empare ainsi de cette invitation comme d’une nouvelle opportunité pour «donner sens au changement».

Le local de la BF15 devient le milieu d’investigation de l’artiste qui y demeure à résidence quelques jours. Tout ce qui le compose devient alors le matériau de son intervention. Il déplace les éléments qui occupent les parties «privées»(étage, entrée, les cagibis)—d’ordinaire cachées aux visiteurs mais constitutives du quotidien et de la mémoire de l’association—pour les redistribuer de façon intuitive dans l’espace «public» d’exposition, au rez-de-chaussée. Le moindre prélèvement est intégré à une composition que le visiteur est à son tour invité à parcourir comme les vestiges qu’un archéologue nous révèlerait, avec pour seules notes de travail, des traces vidéo.

En jouant sur la réversibilité du lieu et la porosité entre la vie et l’art, l’exposition témoigne de l’expérience de l’art comme d’un simple acte de présence. Née d’un geste d’appropriation de l’existant, elle traduit chez son auteur, en même temps qu’elle suscite en nous, un sentiment d’éveil et d’attention au monde.

C’est le plus souvent en réponse à une invitation qu’Eric Hattan opère en s’immisçant dans des situations existantes pour en déplacer les données. Affirmant que «l’art n’est ni un produit ni une solution» mais «un travail de transformation», l’artiste préfère ne rien ajouter à l’existant, ou plutôt, se questionne sur le statut de cet ajout comme propre du geste artistique. «Ma perception est de réagir à, de repenser à nouveau, d’ajouter ou de couper (je ne crois pas à une naissance à partir de rien). Au centre de mes pensées est la question de faire mieux, d’un changement des faits donnés. Vu de près, ce n’est, par exemple, rien d’autre que de renverser ou de basculer quelque chose, qui est parfois presque invisible, mais de le faire avec beaucoup de conscience, pour voir les choses d’une manière décalée.»

En tout lieu, Hattan regarde derrière, en dessous, au-dessus, ce qui se dérobe au regard, ce qui soutient ou prolonge. Il transforme un emballage cartonné promis au rebut en le retournant comme un gant, une interversion où l’objet perd son identité commerciale et devient pure forme, petite architecture fragile et nue. Ce recyclage «maison» relève pour lui d’une forme d’hygiène de vie, un geste quasi-quotidien qui rejoint l’enchaînement de ceux par lesquels, tous les jours, il déconstruit et reconstruit son environnement immédiat.

Dans Faites du neuf avec du vieux (1992), une oeuvre restée à l’état de concept, Eric Hattan propose à des personnes de transformer, en leur absence, l’organisation de leur intérieur: la promesse d’un voyage troublant, dans leurs propres murs. Ces opérations de transformation du monde, par objets interposés, relève d’une économie du retraitement, entendu comme valorisation d’un élément par son déplacement ou la modification de ses composantes. Une transaction avec le réel, en quelque sorte. «Transaction», un terme dont l’usage courant—l’échange économique entre deux valeurs—ne doit pas faire oublier son sens premier qui évoque la traversée ou le passage.

Dans le cas d’Eric Hattan, ce voyage imprimé aux choses résulte d’un processus dont son corps est le vecteur, un corps toujours en mouvement, qui dote les objets d’une existence hors circuit, suspendue, soustraite au cycle production—consommation—destruction. Ce n’est pas un hasard s’il photographie régulièrement les amoncellements de meubles qui jonchent les rues et que l’on nomme des «monstres». Un vocable étrange, relié de près à la notion d’exposition (monstration), qui fait écho à cette remarque de l’artiste: «Je suis persuadé que si l’on faisait plus attention à certaines choses, cela pourrait changer le monde. Mais pour arriver à provoquer cette disponibilité du regard et de l’esprit, il faut trouver des points d’amorce, mettre sur la piste. Après, tu te demandes à propos de tout: est-ce de l’art ?».

Vernissage
Jeudi 24 novembre de 18h à 23h.

critique

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