LIVRES

Les Perméables

Le couvercle de la boîte translucide rouge soulevé laisse découvrir une soixantaine d’images, des posters et des livrets. Ultimes témoignages du projet éphémère des Perméables, vêtements conçus en papier photosensible, ces documents dominés par le rouge, font de ce livre un objet curieux et précieux.

— Éditeurs : MeMo, Nantes / Frac des Pays de la Loire, Carquefou / Caisse des dépôts et consignations, Paris
— Année : 2003
— Format : 13 x 19 cm (boîte plastique cristal rouge : 59 images, 3 posters, 1 carte postale et 2 livrets de 16 pages)
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : non paginé
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-910391-39-6
— Prix : 30 €

Rouge passion
par Jean-François Taddei (extrait)

Le vêtement perméable.
Du patron au vêtement, il n’y a qu’un fil. Celui que Laurent Moriceau tend vers d’autres créateurs. Les stylistes en premier lieu à oui il demande le concours de leur talent et de leur savoir-faire. Invité par le frac des Pays de la Loire à Saint-Nazaire, l’artiste organise un véritable atelier de confection, au styliste s’adjoignent les « petites mains »; ce sont les élèves du lycée de la mode de Cholet et ceux du studio Bercot qui créent les échantillons devant permettre aux futurs commanditaires de choisir le tissu de leur vêtement. Il faut tisser, puis tailler, façonner, coudre cet étrange matériau qu’est le papier photosensible. Il faut imaginer comment le protéger, le présenter, du modèle unique au salon des couturiers.

Le projet devient pluriel, il reçoit d’abord le nom générique lille moriceau, du nom d’Elian Lille, le premier des stylistes associés. Ce projet se développe grâce au concours de ur, la société de Fabrice Hybert, et pour la première fois avec cette ampleur, marque l’importance que Laurent Moriceau accorde au nécessaire recours a d’autres compétences pour mener à bien son travail, par cette invitation à l’appropriation, l’artiste tisse un réseau autour de lui et laisse a d’autres le soin de créer ce qui sera visible dans l’exposition. Celle du Palais de Tokyo développe cette idée jusqu’à faire de la salle d’exposition un show-room, une boutique, un espace de relaxation et de rencontre.

Le vêtement perméable a une réalité physique, celle que lui confère le créateur de mode qui joue avec la fragilité du matériau ou s’en accommode. mais il possède surtout, de par la volonté de Laurent Moriceau, un devenir risqué. Il est par essence dans l’ambiguï;té. Comme vêtement il n’est portable: que dans des conditions très spécifiques, comme papier photographique il est privé d’image. De blanc immaculé le papier photographique peut se noircir si, par inadvertance ou malveillance, il est mis en contact avec la lumière. Il est utilisé a contrario de ce pour quoi il a été créé. En effet, les images potentielles qu’il contient ne pourront jamais advenir sans que le perméable perde sa qualité de perméable. Il y a là comme une mise en danger fondamentale, celle que le regard fait peser sur l’objet regardé depuis qu’Orphée pour voir Eurydice dut la perdre à jamais. Ainsi, dans Roma de Fellini, le percement du métro met au jour une salle souterraine décorée mais, dans l’instant où la lumière révèle les fresques aux spectateurs émerveillés, elle les détruit irrémédiablement.

(Texte publié avec l’aimable autorisation du Frac des Pays de la Loire)