DANSE | CRITIQUE

Les Nuits

PSafidine Alouache
@14 Jan 2014

Dans Les Nuits, Angelin Preljocaj s’est inspiré librement des Mille et Une Nuits pour faire cohabiter dans un même espace scénique différents arts comme la musique, la peinture et la culpture autour de la danse dans une thématique à la découverte de l’autre et de l’ailleurs.

Les Nuits a été créé en avril 2013. Le chorégraphe Angelin Preljocaj s’est inspiré des Mille et Une Nuits dans un ensemble de tableaux qui tisse une trame inspirée par un ailleurs, par un lien vers d’autres cultures, musicales ou artistiques. Le spectacle démarre avec un tableau qui rappelle Bain au soir d’été de Vallotton, dans une belle mise en scène campant une source d’eau chaude où entourées de vapeur d’eau, les danseuses, ondulent leurs corps avec des gestuelles qui se touchent à peine, les unes reflets du miroir des autres, baignées par des lumières diffuses dans une atmosphère de vapeur et de chaleur dans un rapport au temps où stress et tension sont étrangers. Le rythme est au ralenti et dans ses vapeurs, les corps deviennent des flammes qui ondulent.

Puis, le rythme devient plus rapide, plus dynamique, plus relevé dans des gestuelles mécanisées comme vidées de leur vitalité naturelle. Nous sommes dans des ruptures chorégraphiques où Angelin Preljocaj pousse la danse dans différents univers et retranchements. La danse revêt dans le spectacle différentes postures «contemporaines» habitant une multitude de rythmes et de tempos.

Angelin Preljocaj s’est aidé d’Azzedine Alaïa pour les costumes et de Natacha Atlas et Samy Bishai pour la musique qui ont effectué un mariage heureux entre musiques occidentale et orientale. Une reprise de It’s A Man’s Man’s Man’s World de James Brown est aussi faite. Différents univers musicaux se rencontrent. C’est une grande scène du monde avec ses différents carrefours artistiques dans lesquels les influences venant d’horizons différents se font, les alliances artistiques s’accordent. Angelin Preljocaj a choisi de faire de la danse, une fenêtre ouverte à l’autre et à l’ailleurs.

Dans tous les tableaux, la gestuelle participe à une symétrie frontale ou inversée. Ces danseur(se)s qui vont d’un rythme à un autre, d’un univers artistique à un autre univers ont comme étendard la danse, transverse à différents mondes artistiques tels que la peinture, la musique ou la sculpture. La danse ne s’aide pas de ces arts, elle devient ces arts dans le mouvement et la gestuelle des chorégraphies. Les corps deviennent sculptures comme le dos de Patrizia Telleschi qui laisse découvrir des membres et des muscles bien dessinés, un dos bien taillé comme une sculpture de Rodin abandonnant ses jambes, outils de danse, pour un buste, outil de sculpture. La danse devient aussi peinture dans ces tableaux où le rythme des tempos dessine des tressaillements sur les danseuses, des ondulations sur leurs corps.

Nous sommes dans plusieurs univers artistiques. Les danses sont multiples dans leurs gestuelles et leurs rythmes avec ces bras tendus ou ouverts, ces mains qui se relâchent, ces poignets qui se cassent, ces corps qui ondulent et ces mouvements mécaniques comme happés par des tremblements robotiques. Tension, douceur, intimité, c’est un spectre de gestes larges et variés qui nourrit le spectacle. Il y a une liberté du corps dans les mouvements de par leur diversité. La grammaire artistique du spectacle emprunte différents chemins.

Sur scène, dans un tableau, des espaces sont dessinés, colorés par un tapis, et sur lesquels dansent de façon mécanique les danseurs, comme des lieux d’habitation où l’intimité d’une famille se fait jour. Cela ressemble à des peintures dans leurs dispositions et à des bandes dessinées dans leurs mouvements un tantinet frénétiques. Chaque espace délimité par ce pré-carré est en totale symétrie avec les autres espaces. Le spectateur entre dans l’intimité d’une histoire, d’un intérieur. La danse devient miniature, peinture, photographie d’un instant de vie. Le même tableau artistique est exécuté dans chacun des espaces mais la gestuelle et les mouvements des danseurs ne sont pas faits de façon identique car propres à chaque danseur. Angelin Preljocaj a gardé la personnalité de chaque danseur dans son rapport au mouvement, à sa gestuelle.

Tout relie les danseurs. A aucun moment, il ne semble y avoir de tension entre eux, même dans les chorégraphies où la tension est au rendez-vous. La danse fait le lien en jetant un pont vers l’autre. Le rapport à l’autre est aussi un rapport inversé où dans un tableau, les bustes sont cachés et laissent apparaître les membres inférieurs qui dansent de façon synchrone. Le point de vue est renversé et fait de la relation à l’autre, un contact aux touchers intuitifs comme des corps qui n’ont pas besoin de se regarder pour se comprendre. Les bustes disparaissent, et pourtant l’homogénéité de la scène existe comme si le corps humain était couvert de réceptacles sensoriels. Ce sont des jeux d’alter egos.

L’espace est investi dans son moindre pré-carré dans les diagonales, les axes verticaux et horizontaux. La disposition en quinconce des danseurs dans un tableau donne une vue à la fois plongeante et décalée. Le regard doit balayer la scène sur toute sa latitude comme si les danses étaient éclatées et collectives avec des points de vue décentrés pour embrasser toute la scène.

Les thématiques du vivre ensemble, de l’autre et de l’ailleurs se retrouvent dans toutes les chorégraphies. Elles sont la direction artistique du spectacle. Les frontières sont abolies entre les arts de la musique, de la sculpture et de la peinture qui se retrouvent autour de la danse et du conte.

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