ART | CRITIQUE

Les Nébuleuses, Mon Tout: Les Étourdissements. Voyage autour de ma chambre

PFrançois Salmeron
@17 Mai 2013

Patrick Van Caeckenbergh, artiste-bricoleur, ne pose pas de délimitation claire entre sa vie et son œuvre, donnant ainsi forme à un univers bien singulier. Il présente ici une installation foisonnante, assemblant images et textes issus de diverses disciplines, afin de créer un jeu de l’oie géant se déployant autour des restes d’un banquet.

Avant d’accéder à l’espace principal de l’exposition, nous découvrons une longue série de photographies noir et blanc représentant de grands arbres, comme si Patrick Van Caeckenbergh tentait d’élaborer une classification de leur silhouette, tel un taxinomiste. Mais plutôt que de former un véritable arbre généalogique répertoriant les genres et les espèces, ainsi que leurs liens de parenté, cette collection de photos nous renverrait davantage vers «l’arbre de la connaissance» de René Descartes, où les différents savoirs se trouvent classés et hiérarchisés en fonction de leur importance et de leur portée suggérées.

Cette installation évoque ainsi quelque uns des procédés les plus chers à Patrick Van Caeckenbergh: le répertoire, la collection, la classification, les liens possibles entre les différents types de savoir, créant alors une sorte de système ou d’encyclopédie du monde et des connaissances humaines, reposant non pas forcément sur des critères proprement objectifs et scientifiques, mais plutôt sur la sensibilité de l’artiste, sur son histoire et sa mythologie personnelles, ou bien encore sur ses propres obsessions.

A travers «Les Nébuleuses – Mon Tout: Les Étourdissements. Voyage autour de ma chambre», Patrick Van Caeckenbergh nous ouvre effectivement les portes de son univers intime, se constituant autour d’innombrables collages de textes, de photographies et d’illustrations. Ces collages sont disposés sur de grands pupitres en métal, eux-mêmes formant un grand carré ou une sorte de jeu de l’oie géant sans fin ni commencement, se déployant autour des restes d’un banquet.
Nous découvrons en effet des tables recouvertes de nappes blanches et rouges à carreaux, avec des verres, des bouteilles de bières et d’eau entamées, des corbeilles à pain, des guirlandes multicolores et une immense marmite, comme si l’on débarquait après le festin de la fête du village.

Par là, les œuvres de Patrick Van Caeckenbergh apparaissent comme des «touts» ou des condensés d’images et de textes empruntés à tous les champs du savoir: art, architecture, philosophie, anthropologie, littérature, histoire, sciences de la vie, anatomie, éthologie, astronomie, etc. L’artiste se présente alors à la fois comme un esprit encyclopédique, à la manière des grands esprits de la Renaissance, et comme un magicien, un conteur ou un savant illuminé, créant des liens inattendus entre ces divers champs de connaissance.

Le banquet, quant à lui, a véritablement eu lieu dans l’espace de la galerie, suivant la volonté de Patrick Van Caeckenbergh de ne pas réellement séparer vie privée et création artistique. Surtout, la question de l’alimentation nourrit certaines de ses réflexions, apparaissant même comme une parabole de sa pratique artistique.

Car parmi les collages du jeu de l’oie, on remarque des représentations de tubes digestifs, des bouches, des orifices, et plus généralement des coupes anatomiques. Pour Patrick Van Caeckenbergh, il faut d’abord «assimiler les connaissances», les digérer mentalement et intellectuellement. Et, à la manière des artistes conceptuels, l’idée ou la part spirituelle de la création semble alors primer sur l’œuvre et sa réalisation concrète. Celle-ci n’est alors considérée que comme un «reste» ou un «cadavre». Patrick Van Caeckenbergh confie d’ailleurs à ce sujet qu’il faut «laisser exister les restes matériels» – tout comme il laisse exister les restes du banquet sur la table, les rendant visibles à l’œil du spectateur. Il estime même que c’est «la forme de créativité la plus pure et la plus macabre».

D’une part, il existerait donc des matières premières qu’il relève dans des dictionnaires illustrés, des encyclopédies, des atlas ou des revues. Il constitue à partir de là un fonds textuel et iconographique faits de découpages. D’autre part, une fois ces éléments assimilés, il les réorganise et les combine, tel un généalogiste cherchant à établir de nouvelles connexions entre divers éléments. L’œuvre produite est alors le ferment d’expériences intellectuelles, matérialisant en un tout complexe l’univers mental de l’artiste.

A l’arrivée, l’œuvre est une libre combinatoire d’éléments disparates qui sont requalifiés et mis dans un nouveau réseau de signification. Les éléments premiers, qui sont les ruines de travaux antérieurs auxquels s’intéresse Patrick Van Caeckenbergh, sont découpés, recollés et «recontextualisés». Les messages originaires que véhiculaient les images et textes choisis par l’artiste se trouvent alors détournés de leur sens premier. Patrick Van Caeckenbergh crée ainsi un nouvel univers sémantique, s’organisant notamment sur son quotidien ou son histoire personnelle, sans que l’œuvre ne prenne toutefois un caractère égocentrique.

Car son œuvre nous apparaît bien plus comme le formidable fruit d’un esprit original, curieux et novateur, qui crée une «encyclopédie autodidacte», des «tableaux synoptiques» ou des mythes personnels, interrogeant notre condition humaine ainsi que le monde complexe et foisonnant dans lequel nous évoluons.

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