ART | CRITIQUE

Les Moires de la mémoire

PFrançoise Py
@26 Nov 2009

«Les Moires de la mémoire», beau titre de cette «Rétrospective 1948-1980» de Marcelle Loubchansky rassemblant une cinquantaine d'œuvres sur toile et sur carton.

Née en 1917 à Paris, Marcelle Loubchansky, d’origine biélorusse et juive, très marquée par la Seconde Guerre mondiale, expose pour la première fois en 1948 à la Galerie Breteau puis, en 1951, la Galerie de Beaune lui consacre une exposition. En 1952, elle rencontre Charles Estienne qui a largement contribué à rapprocher une certaine abstraction libre du surréalisme.
En 1953, il l’invite à exposer dans la toute jeune galerie surréaliste «A L’Etoile scellée» (jeu de mots sur «Ah les toiles c’est laid»), galerie dont André Breton est le directeur artistique.

Elle est aussitôt remarquée par celui-ci, qui dira d’elle, en 1956: «C’est une bouffée de toute fraîcheur qui, levée de ses Å“uvres, nous rend pour elles le pur regard de l’enfance, où les prestiges de l’aurore boréale se conjuguent à ceux de la robe couleur du temps».
«Fraîcheur», c’est aussi le terme que trouve, dès 1954, Charles Estienne pour parler de cette peinture: «Éclatante et dangereuse fraîcheur d’un âge d’or que notre mémoire et notre vue ne savaient pas si proches».

Charles Estienne continue à associer Marcelle Loubchansky aux expositions qu’il organise: «Peintres de la Nouvelle École de Paris», «Rose d’insulte», «Salon d’octobre» (à propos duquel il écrit dans Combat un manifeste: «Une révolution: le tachisme»). André Breton lui aussi l’associe aux expositions dont il est le commissaire («Pérennité de l’art gaulois», 1955).

Autre rencontre capitale: celle du galeriste Jean Fournier, qui va l’exposer à la Galerie Kléber à Paris en 1956 (texte d’André Breton), 1957, 1960, avec des peintres tels que Sam Francis, Simon Hantaï ou Jean-Paul Riopelle. Cette période de grande notoriété culmine avec une rétrospective en 1965: «Dix ans — 1955-1965» à la Galerie Jean Fournier, avec une préface de Geneviève Bonnefoi.

Après sa mort, la galerie Brimaud présente en 1991 une grande exposition en hommage à Marcelle Loubchansky. En 1992, Geneviève Bonnefoi organise au Centre d’art contemporain de l’Abbaye de Beaulieu-en-Rouergue une exposition rétrospective « 1950-1988 ».

Ce qui fait de Marcelle Loubchansky une héritière du Surréalisme, entre autres, c’est l’automatisme du geste et des procédés picturaux: la peinture déversée, projetée, crée une matière alchimique qui prolonge et renouvelle les décalcomanies d’Oscar Dominguez et de Max Ernst.
Les taches, les moires et moirures recréent un univers primordial qui, sans jamais représenter, ont une immense force de suggestion. Elle reconnaît elle-même sa dette: «Je pense que le Surréalisme est l’un des courants fondamentaux de notre temps. L’abstraction, cependant, est à mon avis un passage nécessaire, comme la synthèse du surréalisme et du classicisme, du contenu et de la forme».

Cette peinture sans pinceau (ou presque) est, sur la toile, le carton ou le papier, une matière fluide, diluée, qui s’épand, se diffuse, crée des réseaux, des effets de profondeur.
La tache colorée se fait mémoire du geste, enregistre les fulgurances, les rythmes syncopés, les silences. Parfois des collages de papier de soie, tels des pétales en lévitation sur la toile, rivalisent avec les transparences de l’huile.

Citons encore Charles Estienne, qui a su saisir si tôt l’intérêt de ce parcours: «Tout cela, qui est structure physique du tableau, n’est plus seulement abandon au hasard, ou jeu avec lui, mais dure conscience de l’art, c’est-à-dire tension lyrique et création d’un langage».

A partir des années 70, Marcelle Loubchansky tourne ses méditations picturales vers le cosmos, comme en témoignent quelques titres de cette période: Arc cosmique (1968), Fusion stellaire (1978), La Plage bleue, Avec le soleil.
Geneviève Bonnefoi voit en chacune d’elles «un espace transparent ponctué parfois d’un noyau plus dense comme une nébuleuse ou de taches noires, rouges ou blanches, météorites filant vers la Terre». En ajoutant: «Dans ces toiles aux précieuses harmonies de gris, beiges, ocres, roses ou bruns, le combat silencieux de l’ombre et de la lumière se résout dans un équilibre serein».

Liste des Å“uvres
— Sans titre, circa 1950. Huile sur toile. 81 x 60 cm.
— Sables, 1952. Huile sur toile. 100 x 73 cm.
— Mer de sable, 1953. Huile sur toile. 130 x 89 cm.
— Haut de formes, 1953. Huile sur toile. 116 x 73 cm.
— Sans titre, 1956. Huile sur toile. 61 x 46,5 cm.
— Sans titre, 1957. Huile sur toile. 100 x 81 cm.
— Sans titre, 1957. Huile sur toile. 162 x 130 cm.
— Bleu – rose, 1958. Huile sur toile. 100 x 81 cm.
— Sans titre, 1960. Huile sur toile. 100 x 81 cm.
— Sans titre, 1960. Huile sur toile. 65 x 50 cm.
— Sans titre, 1960. Huile sur toile. 46 x 55 cm.
— Sans titre, 1961. Huile sur toile. 60 x 73 cm.
— Sans titre, 1961. Huile sur toile. 55 x 46 cm.
— Ondes Fleurs, 1961. Huile sur toile. 97 x 129 cm.
— Onde bleu-vert III, 1961. Huile sur toile. 130 x 97 cm.
— Odeur de soleil, 1963. Huile et collage sur toile. 100 x 81 cm.
— Sans titre, circa 1965. Huile sur toile. 114 x 146 cm.
— Sans titre, 1971. Huile sur toile. 100 x 81 cm.
— Sans titre, 1972. Huile sur toile. 100 x 81 cm.
— Fusion stellaire, 1978. Huile sur toile. 146 x 94 cm.
— Sans titre, 1979-80. Huile sur toile. 100 x 100 cm.
— Sans titre, 1960. Gouache sur papier. 48 x 44 cm.
— Sans titre, circa 1960. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 49 x 64 cm.
— Sans titre, 1965. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 80 x 60 cm.
— Sans titre, circa 1965. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 65 x 50 cm.
— Sans titre, circa 1965. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 52 x 33 cm.
— Sans titre, circa 1968. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 80 cm.
— Sans titre, circa 1968. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 80 x 60 cm.
— Sans titre, 1968. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 80 x 120 cm.
— Sans titre, 1968. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 80 x 60 cm.
— Sans titre, 1969. Huile diluée à l’essence sur carton. 49 x 64 cm.
— Sans titre, circa 1970. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 80 cm.
— Sans titre, 1971. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 80 cm.
— Sans titre, 1972. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 80 cm.
— Sans titre, 1972. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 45 cm.
— Sans titre, 1972. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 37 cm.
— Sans titre, 1973. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 64 cm.
— Sans titre, 1973. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 45 cm.
— Sans titre, 1973. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 80 cm.
— Sans titre, 1975. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 79,5 x 119,5 cm.
— Sans titre, 1975. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 119,5 x 79,5 cm.
— Sans titre, 1977. Huile diluée à l’essence sur carton marouflé sur toile. 60 x 80 cm.
Publication

Catalogue, nombreuses illustrations, textes d’André Breton, Geneviève Bonnefoi, Paul Duchein, Charles Estienne et Pierre Restany.

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