LIVRES

Les Institutions culturelles au plus près du public

Actes des « Journées d’études » consacrées à la relation public-institutions : gratuité, émergence de nouveaux usages, action culturelle… Les pistes d’études confrontées à l’expérience de terrain font de cette série d’interventions un outil de réflexion ouvert à tous les acteurs de la culture.

— Auteurs : sous la direction de Claude Fourteau : Rachid Amirou, Catherine Ballé, Pascal Le Brun-Cordier, Laurent Fleury, Bruno Gaudichon, Maurice Godelier, Anne Gombault, Hana Gottesdiener, Nathalie Heinich, Martine Kahane, Sylvia Lahav, Florence Lévy, François Lombard, Seonaid McArthur, Yves Michaud, Katia Papaspiliopoulos, Claude Patriat, Christian Pattyn, Vincent Pomarède, Joël Roman, Françoise Roussel
— Éditeur : La Documentation française, Paris
— Année : 2002
— Format : 24 x 16 cm
— Illustrations : aucune
— Pages : 280
— Langue : français
— ISBN : 2-11-005279-1
— Prix : 20 €

Présentation
par Claude Fourteau

C’est une réflexion sur la proximité entre institutions et public qui a présidé au choix du thème et à l’organisation des journées d’étude de mars 2002 au musée du Louvre, et nous remercions ceux qui, en s’y associant, se sont associés aussi à la démarche compréhensive de se tenir « au plus près » du public et de faire que ces échanges soient des rencontres, avant que d’être un livre.

Quatre thèmes ont été proposés à la réflexion, formant des ensembles en apparence distincts, qui ne cessent cependant d’être sécants dès que la réflexion les éclaire :
— la transformation récente des musées, dans leur organisation, leurs missions, leur pouvoir d’élaboration des usages;
— les positions à l’égard de la gratuité; ses relations à la gestion des établissements ou à la symbolique de la culture;
— l’histoire et la situation actuelle de l’action culturelle, en liaison avec les études de publics, la formation et l’organisation professionnelle, la définition d’un cadre d’éthique;
— enfin, l’incidence qu’a sur la culture la mondialisation du tourisme.

Concernant le lien entre institutions culturelles et public, toutes les réflexions s’accordent sur un constat de latence, faite de contradictions irrésolues. Trois approches se dessinent pour aborder la question: la reconnaissance du musée comme institution majeure; le doute et le malaise à l’égard des orientations que prennent les institutions et plus largement de la « gouvernance » de la culture; un dépassement possible, non des contradictions, mais de l’inaction, a laquelle l’exemple de formes anciennes ou nouvelles de politiques de public clairement assumées offre un contre-modèle.

« Il y a de l’énergie dans le musée ! » Cette exclamation de surprise et de victoire que lance Bruno Gaudichon ressemble à un défi relevé. Contre toute attente, parmi les institutions culturelles, c’est sans doute le musée qui aborde le nouveau siècle dans les meilleures conditions. Condamné il y a peu, « désuet, inadapté, inacceptable dans une société en quête de valeurs démocratiques », ainsi que le souligne Catherine Ballé, il a récemment fait l’objet d’un investissement social sans précédent. Hier déserté, statique, le musée a abordé, et dans l’ensemble intégré, un processus de modernisation qui le transforme en profondeur. Comblés de dons, des espaces culturels que les architectes se font une gloire de construire provoquent l’adhésion du public par le moyen d’une « identification monumentale », que célèbre François Lombard.

Une nouvelle génération de conservateurs-directeurs se voient ainsi entraînés, avec la surprise et l’enthousiasme que décrit Vincent Pomarède, vers ce qu’on qualifierait volontiers d’aventure de l’ouverture et participent désormais à l’orchestration des politiques de la ville. Il ne fait aucun doute que les progrès de la décentralisation, poussant les pouvoirs locaux à réinvestir dans la culture, ont contribué à ramener le musée sur terre, et faire progresser son ancrage dans la société. Dans la plupart des cas, et au niveau d’une revue des situations occidentales telle qu’a pu la mener Anne Gombault, l’évolution des musées est essentiellement celle d’organisations dynamiques, aujourd’hui dominées par une logique gestionnaire soucieuse de croissance et de diversification, à la recherche constante de financements et le musée fera beaucoup mieux encore dans le futur, au fur et à mesure que son « apprentissage organisationnel » se développera.

La principale carence de cette évolution touche au positionnement des politiques de public. Or l’institutionnalisation de la vocation publique des musées semble à la plupart des auteurs la clé de voûte de l’exercice plein et entier de leur mission. Les musées échappent-ils à leurs visiteurs, ou plutôt les visiteurs restent-ils étrangers aux représentations des nouveaux décideurs, tout aussi exclusivement absorbés par l’adaptation au monde de l’organisation, que d’autres l’étaient autrefois par la conservation et l’étude ?

Tout un courant de réflexion critique et alarmée met en garde l’institution contre elle-même, et ses possibles dérives. Le public « n’est pas l’acteur central du projet du musée », s’insurge Claude Patriat; « La mise à disposition des Å“uvres au public est longtemps restée secondaire », constate Nathalle Heinich; la légitimité des « passeurs » est mal assurée, regrette Joël Roman. C’est en effet des acteurs les plus engagés dans la propagation des politiques culturelles ou les plus investis dans la médiation artistique que viennent les injonctions et les avertissements les plus véhéments. Sylvia Lahav, successivement attachée aux services culturels des plus grands musées de Londres, est saisie par le doute. Le terme de malaise n’est pas trop fort. Révélateur d’une souffrance et d’une résistance à la rationalisation et à la marchandisation excessives de l’univers de la culture, est le besoin aigu de retour aux sources du champ culturel. Il est manifesté, dans les contributions à cet ouvrage, par la référence aux fondements historiques, aux grandes figures, aux grandes ruptures… On note la permanence, l’insistance, la reprise, d’un texte à l’autre, des mêmes références: les valeurs qui ont fondé le musée public, l’entreprise pédagogique de la IIIe République, l’impulsion donnée par André Malraux à la culture comme dimension du politique, le coup de semonce de la sociologie critique de Pierre Bourdieu qui Jette durablement les institutions culturelles dans « l’ère du soupçon ». Pascal Le Brun-Cordier dénonce leur absence de réaction. C’est en effet moins la définition de la culture qui fait ici débat, que celle des choix de l’institution. Les questions qu’on lui pose sont celles de la définition de ses missions, de sa spécificité professionnelle, de ses relations avec la société de consommation, de sa négligence à l’égard du public et de ses attentes.

De façon positive s’ouvrent alors des pistes de propositions; les perspectives concrètes d’amélioration ne manquent pas, et d’abord celle d’explorer les réussites, plutôt qu’à ressasser les « prétendus échecs » de la politique de démocratisation. Les témoignages abondent de ce qu’il est possible de réussir, quand le vouloir est présent. Laurent Fleury, en étudiant l’apport des politiques de public inventées par le TNP, puis par le Centre Pompidou, ouvre en effet une brèche dans l’analyse de ce que les institutions, cofondatrices des normes de l’action publique, sont en mesure de modifier dans les pratiques sociales. D’autres exemples illustrent la même démarche: la gratuité, signe souverain favorisant la construction de « visiteurs en devenir »; la compréhension patiente des itinéraires de spectateurs, menée à l’Opéra de Paris; la vole de projets « solidaires », tel le cas modèle du musée-piscine de Roubaix; la construction d’une image forte et humaniste d’un espace de plein air, au Parc de la Villette… C’est une large palette d’expériences bonnes à penser et bonnes à reprendre qui parcourent ce recueil, « pleines d’inventions méthodologiques et de problématiques novatrices ». Des études véritablement ouvertes et bien diffusées, situation dont Nathalie Heinich regrette la rareté, auraient certainement contribué à un meilleur cumul des expériences. Ce potentiel inexploité renvoie au constat de Claude Patriat concernant l’isolement et la précarité générale des services culturels, qu’illustre l’absence de dénomination stabilisée pour les définir, eux, leurs acteurs, leur champ professionnel, leur formation.

La relation que fait Seonaid McArthur de l’expérience américaine de prise en charge d’une profession par elle-même, malgré un contexte difficile, est à méditer: l’Association américaine des musées, en définissant de l’intérieur ses principes et ses normes d’action, présente une clarté de direction établie sur des bases de concertation incluant toutes les logiques à l’œuvre dans les musées, et par là un pouvoir d’intervention à la fois sur la société qui l’entoure et sur la décision politique. Par comparaison, la réflexion franco-française, souvent bercée de l’illusion qu’il n’y a de pensée sur les politiques de la culture que dans ce pays qui en défend l’exception, apparaît travaillée de contradictions et de blocages. Joël Roman relève « une profonde suspicion des intellectuels et des artistes au progrès des mœurs démocratiques », qui postule que la culture trie et sépare, mais ne réunit pas.

Cependant, le monde change. La mondialisation touristique, qui est l’un des effets les plus visibles de la culture de masse, a depuis longtemps déjà atteint de ses effets la France en tant que pays de culture, sans que l’offre culturelle en ait vraiment tenu compte, ainsi que le regrette Christian Pattyn; l’exploration de l’imaginaire touristique qui nous caractérise tous, tel que l’expose Rachid Amirou, va dans ce sens. Pour sa part, Yves Michaud envisage plutôt la démesure dévastatrice que prend le développement de « l’art du déplacement », qui symbolise l’homme moderne, et annonce le succès de « l’industrie de l’identité ». C’est en effet à une réflexion sur la quête de sens et d’identité que convient ces analyses. Maurice Godeller jette sur le monde de la culture, sur ses objets et ses pratiques, qu’elles soient magiques ou laï;ques, le regard de l’anthropologue qui sait que l’homme a besoin de « créer de la société pour vivre ».

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions La Documentation française)

Les auteurs
Claude Fourteau est chargée de mission auprès du président-directeur au musée du Louvre.
Rachid Amirou est sociologue, professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier.
Catherine Ballé est directeur de recherche au Cnrs—Centre de sociologie des organisations.
Pascal Le Brun-Cordier est maître de conférences associé à l’université Paris I—Panthéon-Sorbonne.
Laurent Fleury est maître de conférence en sociologie à l’université Paris VII—Denis-Diderot.
Bruno Gaudichon est conservateur en chef du musée d’Art et d’Industrie de Roubaix.
Maurice Godelier est anthropologue, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales.
Anne Gombault est professeur à l’École supérieure des sciences commerciales d’Angers.
Hana Gottesdiener est professeur à l’université Paris X—Nanterre, chercheur au laboratoire Culture et communication de l’université d’Avignon et directrice de la revue Publics et Musées.
Nathalie Heinich est sociologue, directeur de recherche au Cnrs.
Martine Kahane est directrice du service culturel à l’Opéra national de Paris.
Sylvia Lahav est senior education officer à la National Gallery de Londres.
Florence Lévy est chargée d’études au Parc de la Villette.
François Lombard est architecte, professeur à l’École spéciale d’architecture et à l’université Paris XII.
Seonaid McArthur est présidente du comité sur l’éducation (EdCom) de l’American Association of Museums.
Yves Michaud est professeur à l’université Paris I—Panthéon-Sorbonne.
Katia Papaspiliopoulos est chargée d’études au Parc de la Villette.
Claude Patriat est professeur à l’université de Bourgogne, directeur de l’IUP Denis-Diderot.
Christian Pattyn est inspecteur général de l’administration des affaires culturelles du ministère de la Culture et de la Communication, Paris.
Vincent Pomarède est conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée des Beaux-Arts de Lyon.
Joël Roman est collaborateur de la revue Esprit.
Françoise Roussel est directrice des publics et du marketing à l’Opéra national de Paris.