DANSE | SPECTACLE

Les Inaccoutumés. A mon seul désir

02 Déc - 03 Déc 2014
Vernissage le 02 Déc 2014

Gaëlle Bourges mêle, avec intelligence, danse et histoire des représentations, travail formel et intention pédagogique. Pour sa nouvelle création, elle s’intéresse aux six panneaux de la tapisserie connue sous le nom de La Dame à la licorne, détisse l’histoire de la virginité et reprend l’image féminine.

Gaëlle Bourges
Les Inaccoutumés.
A mon seul désir

Le statut de «vierge» dans la culture européenne (mais pas seulement) est l’apanage des femmes – vierge Marie oblige. Ou plutôt: on s’est toujours davantage soucié de la virginité des femmes que de celles des hommes. En témoigne une iconographie épaisse de plusieurs siècles, qui tapisse nos imaginaires de déflorations (de femmes), ou d’absence de déflorations, justement (enchaînement sans fin de Maries). Et puisqu’il s’agit d’un tissage profond et ancien de nos représentations, nous avons choisi de desserrer la trame d’un ensemble fameux de tapisseries, connu sous le nom de La Dame à la licorne, réalisé dans les dernières années du XVe siècle et visible au musée du Moyen-Âge à Paris. La tenture, dans ses six panneaux indépendants, montre une demoiselle richement parée, occupée à diverses actions et toujours accompagnée d’une licorne sagement attentive. Or la licorne, créature fabuleuse au corps de cheval, tête de chèvre, et dent de narval en guise de corne, est symbole de chasteté, et ne peut donc apparaître si paisible qu’aux côtés de jeunes filles chastes, précisément. Nous y revoilà.

La fin du Moyen-Âge est riche d’histoires de chasses à la licorne organisées autour de la virginité des femmes: on attire l’animal sauvage dans une clairiè̀re en y plaçant une vierge dont l’odeur sert d’appât. Amadouée, la bête s’approche puis se couche en toute confiance sur le sein de la fille tandis que le chasseur, jusque là caché, bondit. Car l’attribut de la licorne – sa longue corne filant droit et haut vers le ciel – est objet de convoitises, étant censée guérir les empoisonnements, forts à la mode en Occident entre le XIVe et le XVIIe siècle. Pourtant cette corne est aussi «une espèce de complexe aigu phallique», selon l’ironique formule de Salvador Dalí; en tout cas un signe érotique évident pour beaucoup de commentateurs de l’œuvre, même les plus sérieux. Que convoite-t-on donc? La virginité ou la vierge? Les deux à la fois? Alors le couple jeune fille/licorne figure-t-il la chasteté, ou au contraire une allégorie du désir charnel, d’autant plus irrépressible qu’il est sous-tendu par l’excitation (historique) à défricher une terre immaculée?

Les historiens de l’art sont en tout cas d’accord sur un point: les cinq premiers panneaux de la tenture figurent les cinq sens, selon une hiérarchie définie par la littérature médiévale (du plus matériel au plus spirituel, ou, dans une perception contemporaine: du point distal au point proximal par rapport au cerveau – «l’âme» dans les années 1500), soit: le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe, la vue. L’occasion pour les quatre performers de dresser cinq tableaux en glissant dans la tapisserie – fleurs, bêtes, jeune fille sur fond rouge – figurant ainsi les allégories que perce un récit oscillant entre éléments descriptifs et décollements hallucinatoires.

La sixième tapisserie, qui figure le sixième sens, file l’ambivalence – monnaie courante dans l’art du Moyen-Âge: baptisée Mon seul désir au regard de la devise qu’on peut y lire (sans compter le A et le I qui encadrent la devise, ou la promesse), on y voit la jeune dame, toujours flanquée d’une licorne, qui semble hésiter entre deux actions: choisir un des bijoux somptueux présentés à elle dans un coffre, ou au contraire déposer définitivement son collier, dans un geste de dénuement. De quel«seul désir»s’agit-il donc? L’abondance de bêtes représentées sur les tentures est une possible réponse à la question; celle qui nous tente le plus en tout cas: un devenir animal proliférant, et plus précisément un devenir lapin capable de desserrer, dans un tremblement collectif, la trame de nos pensées et de nos affects.

En plongeant dans le Moyen-Âge, Os continue d’irriguer la relation entre spectacle vivant, œuvres plastiques et histoire des représentations dans l’art entamée avec Je baise les yeux (2009), qui tente de comprendre le métier de stripteaseuse dans un cadre plus large que le simple rapport œil/corps nu; La belle indifférence (2010), qui met en tension nus féminins de la peinture européenne, récit d’histoire de l’art et récits de travail sexuel; et Le verrou (figure de fantaisie attribuée à tort à Fragonard) (2013), où s’entremêlent histoire de l’art officielle et histoires d’art fictionnelles, effondrement du désir dû à un excès de désir et aporie révolutionnaire – ces trois pièces constituent désormais un triptyque intitulé Vider Vénus.

Conception: Gaëlle Bourges
Avec: Carla Bottiglieri, Gaëlle Bourges, Agnès Butet et Alice Roland ou Marianne Chargois
Danse: Carla Bottiglieri, Gaëlle Bourges, Agnès Butet et Alice Roland
Et avec la participation de 34 volontaires
Récit: Gaëlle Bourges
Création musique: XTRONIK et Erwan Keravec
Création lumière: Abigail Fowler et Ludovic Rivière
Création costumes: Cédrick Debeuf, assisté de: Louise Duroure
Accessoires: Chrystel Zingiro
Masques: Krista Argale
Régie son, régie générale: Stéphane Monteiro
Administration/Production/Diffusion: Raphaël Saubole

Informations
Festival Les Inaccoutumés
Les mardi 02 et mercredi 03 décembre 2014, à 20h30

Tournée
Le mardi 3 février 2015 au Vivat, Scène conventionnée danse et théâtre pour le festival «Vivat la danse!» à Armentières
Et en mars 2015 (entre le 26 et le 29 mars, date non encore fixée) au Centre Chorégraphique National de Roubaix, Ballet du Nord, Festival Jouvence

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