PHOTO

Les fascinantes lois de la Matrice / Super Core

PHélène Sirven
@12 Jan 2008

Par la robotique (Fight Club), les jeux stratégiques (Go), les relations qui intervertissent objet et sujet sans raison apparente (Go) : les dispositifs critiques de Stéphane Sautour visent à déjouer la « Matrice » technologique, avatar de la société du Spectacle et des mythologies quotidiennes.

La vigilance et l’intérêt de Stéphane Sautour vis-à-vis de ce qui conditionne la vie urbaine et sociale passent par l’utilisation des nouvelles technologies, sans pour autant oublier à quel point image et comportement entretiennent des liens redoutables : aujourd’hui, réel et (science)-fiction s’interpénètrent finalement sans équivoque.
Les deux incroyables robots chiens Aïbo (Fight Club, en référence au film de David Fincher) se battent ou se frôlent sous l’action d’un programme aléatoire très sophistiqué. Ils mettent en évidence notre capacité à projeter nos émotions, nos peurs, nos désirs : les « gentils » robots domestiques de Sony sont devenus des petits aliens méchants.
Rigoureusement identiques pourtant, ces pièces mécaniques ont l’air vivantes et différentes l‘une de l’autre. La référence à de petits animaux de compagnie n’est pas évacuée mais les jumeaux se transforment vite en deux figures inquiétantes qui renvoient une agressivité inévitable. Aussi imprévisible que celle qui surgit parfois dans la vie réelle, dans le quotidien le plus plat. Cette violence à petite échelle, ce simulacre qui grince sur la gomme grise du sol de la galerie, restent un écho persistant des événements inlassablement restitués par la presse et les images télévisées. Les déplacements des robots créés par Sony, recyclés par l’artiste et son équipe de travail participent d’une logique guerrière (post-humaine ?) : logique absurde, aux frontières du réel, au-delà du réel, entropique.

L’énergie créatrice de Stanley Kubrick semble encore habiter les dispositifs critiques que Stéphane Sautour tente de développer toujours plus profondément : explorer le secret des systèmes industriels reste un enjeu artistique, une lutte contre une forme de marginalisation de l’art, souvent placé aux confins d’une trop aimable galaxie culturelle.
Par l’illusion numérique (Tank, Rouge total), Sautour montre notre aveuglement certain, notre trop grande passivité face à ce qui n’a pas toujours de nom, mais qui génère schizophrénie et paranoïa. La robotique (Fight Club), les jeux stratégiques (Go), les relations qui intervertissent objet et sujet sans raison apparente (Go), participent d’une mise en espace particulière.

Sobriété, simplicité, clarté des pièces (écrans) mènent droit au but : expérimenter, regarder, écouter, parler aussi avec l’artiste qui tient à cet échange. Car la force discrète de Sautour est d’avoir posé directement ici la question du sujet et de l’objet, dans un monde brouillé, fragmenté, en quête d’identité et de solidarité (Art at The Turn… ). Comment participer aux échanges (de tous ordres ou presque) en échappant à la modélisation, comment s’inclure dans le vaste collage des situations, comment ne pas être digéré par cette « Matrice » technologique, avatar de la société du Spectacle et des mythologies quotidiennes ?

Tank est une pièce révélatrice de la grande détresse du monde du travail, où tout se tente, dans une indétermination totale : « Soigneux et rapide, je travaille en silence […], je repasse et amidonne si nécessaire » ; les annonces se font et se refont, dans un effort de construction illimitée : le programme ici à l’œuvre manifeste une combinatoire aussi infinie que modeste.

Les mots qui apparaissent sur l’écran numérique, les lignes du jeu de Go, le carmin poétique du sang de Rouge total, les immeubles qui enserrent les protagonistes de Art at The Turn…, tissent un réseau de formes plastiques et définissent l’image comme une source inépuisable de narrations inachevées. On pourrait penser que dans l’œuvre de Stéphane Sautour la fiction déborde toujours le désir : l’image se construirait alors dans la prothèse plutôt que dans la chair pour mieux exprimer la puissance son immatérialité constitutive.

Stéphane Sautour :
— Avec Virginie Barré : Rouge Total, 2001. Animation numérique. DVD : 4’. — Art At The Turn…., 2002. Animation numérique. DVD : 7’.
— Go, 2001. Dispositif modulable : 3 ordinateurs PC, 2 caméras de sruveillance, 1 écran plat LCD. Développement informatique : Stéphane Berrebi.
— Tank, 2001. CD-Rom.

Au sous-sol :
— Fight Club, 2002. Installation performance. Autonomie : 1 h. 2 robots chiens Aïbo. Développement informatique : Stéphane Berrebi.

AUTRES EVENEMENTS PHOTO