ART | CRITIQUE

Les Continents incontinents

PSarah Ihler-Meyer
@23 Mar 2009

Sous le signe du ludique et de l’animisme, les pièces de Julien Bismuth sont autant de jeux formels où les objets, par leur démultiplication et leur déclinaison, prennent vie. Des chaises, des tables, un tréteau, mais aussi des cubes placés au sol et au mur, s’animent sur des feuilles de papier ou dans l’espace réel.

Le procédé mis en œuvre est la démultiplication des objets. Accroché au mur, un ensemble de dessins représentent des chaises, des tables, des échelles ou encore des boîtes percées d’un trou noir. Chacun de ces objets figure plusieurs fois sur une même feuille de papier. Il s’agit non pas de la reproduction de chaises ou de tables différentes, mais de la déclinaison d’une seule et même chose. Ainsi, une échelle ou une boîte se présentent sous quatre à six angles différents.

Dans l’espace réel, Julien Bismuth met en place le même procédé avec des formes volumétriques et un tréteau. Fixé au mur, un rectangle en bois de taille importante subit de nombreuses variations. Sa forme initiale devient progressivement, en passant par de grands cubes et de petits rectangles, un cube de très petite dimension.
Au sol, un autre cube en bois est sujet à déclinaisons : cinq de ses aspects possibles sont alignés en rang d’oignons. Plus précisément, l’un de ses angles est sectionné de manière plus ou moins conséquente d’une de ses occurrences à une autre.
Enfin, un tréteau en bois se prolonge indéfiniment dans l’une des salles de la galerie. En réalité, cinq ou sept tréteaux ont été accrochés les uns aux autres de manière à n’en faire plus qu’un.

Au travers de ces démultiplications, Julien Bismuth donne vie à l’ensemble de ces objets. Car, d’une figure à l’autre, le regard n’a pas simplement à faire à un point de vue différent, mais à un objet qui se met en marche : une table esquisse un léger mouvement, trottine, court et finit par tomber, une échelle crapahute, fait un saut périlleux et atterrit sur ses pattes, une chaise s’envole dans les airs. Quant aux cubes et au tréteau, leurs variations s’apparentent aux métamorphoses d’un être en devenir.

En d’autres termes, ce qui est par définition sans vie, à savoir les objets, s’anime et s’élève au statut d’être vivant. Leurs déclinaisons correspondent à leurs déambulations davantage qu’à leurs différents profils. En cela, les pièces de Julien Bismuth ne sont pas sans évoquer les décompositions du mouvement de Muybridge, en l’occurrence appliquées aux péripéties fictives des objets.

Et, si Julien Bismuth insuffle la vie à de simples choses, il la retire en revanche aux êtres prétendus animés. A l’intérieur de huit petits cadres, l’artiste a découpé et collé des photos d’hommes d’affaires sur des feuilles de papier blanc. Toutes les têtes ont été retirées : des corps acéphales vêtus de costards marchent, semblent disserter, réajustent une cravate. Ainsi, sans visages, les personnages sont identiques les uns aux autres car dénués d’individualité et de subjectivité. De fait, ils sont ironiquement réduits au statut de machine.

Avec Les Continents incontinents, Julien Bismuth offre au regard des pièces humoristiques où les lois du monde sont inversées. Les objets prennent vie quand les êtres vivants deviennent de simples choses.

Julien Bismuth
— Let Us Now Praise Famous Men, 2009. Collages. 21 x 29,7 cm.
— Les Continents incontinents (1.1 : La Tortue d’Achille), 2009. 9 tableaux, bois peint. Dimensions et dispositions variables.
— Les Continents incontinents (1.2 : Le mouvement qui déplace les lignes), 2009. Bois acajou. Dimensions et dispositions variables.
— Sculptures pour table ou pour socle / sculptures pour poche ou pour tiroir, 2009. Bois. Dimensions variables.

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