ÉDITOS

Les choses qui ne se passent pas

PAndré Rouillé

Il serait faux d’affirmer que rien de positif ne se passe dans le monde de l’art contemporain à Paris. Bien au contraire.
Pour cette seule semaine, on pourrait citer : l’affluence qui a marqué le début de la seconde vague d’expositions à Paris, notamment à l’occasion des vernissages simultanés des galeries de la rue Louise Weiss; l’annonce par la société Reed Exposition d’une nouvelle dynamique pour la Fiac sous la direction artistique de Jennifer Flay ;

le dépôt par François Pinault d’une demande de permis de construire pour sa Fondation d’Art contemporain dont l’ouverture est prévue en 2007 sur l’île Seguin, ce qui, on peut l’espérer, va stimuler la scène artistique contemporaine; on attend dans les prochains mois l’ouverture de la Fondation Antoine de Galbert, non loin de la Bastille ; sans parler de l’immense succès populaire que la Nuit Blanche a récemment remporté, ni de l’ouverture de la galerie Jocelyn Wolff dans l’Est de Paris, non loin du Plateau… Sans parler de l’énorme succès du guide paris-art !…

Mais alors, d’où vient qu’un profond désenchantement pèse sur le monde de l’art contemporain français, en particulier parisien ? Un désenchantement qui se traduit tour à tour par un puissant sentiment d’impuissance — comme sous l’effet d’une sorte de virus de l’impossible —, ou par une forme singulière de masochisme.
On en veut pour preuve la curieuse manière dont la presse a, avant même leur ouverture presque simultanée, vivement critiqué la Fiac et au contraire encensé inconditionnellement Frieze, la nouvelle foire d’art contemporain de Londres. Or cette systématicité masochiste de la presse française a été contredite par les faits : la Fiac a été de bonne tenue tandis que Frieze n’a pas été telle qu’annoncée.

Les causes de ce désenchantement sont diverses, et mériteraient d’être abordées en détail. Mais l’une d’elles semble particulièrement s’imposer: le poids des choses qui ne se sont pas passées.
Tant de projets et tant d’initiatives ont échoué, ont été rejetés, ou n’ont trouvé ni partenaires, ni soutiens, ni même attention, ou si peu. Sans parler des nécessaires financements. Et cela en dépit de leur qualité souvent incontestable.
Ce sont autant d’énergies gaspillées, de dynamiques freinées, et d’occasions manquées pour le rayonnement international de l’art contemporain français.

Certes des choses se passent, mais tant d’autres choses ne se passent pas. A cet égard, il faudrait instaurer des sortes de bilans inversés, faire que les différentes structures (des associations aux ministères) dressent des bilans, non pas de ce qui a été fait, mais de ce qui n’a pas pu se faire.

Nombre d’acteurs du monde de l’art contemporain, en premier lieu les artistes, ont de plus en plus l’impossible pour horizon, et la litanie triviale et fallacieuse du manque d’argent. Fallacieuse, parce que ce n’est pas l’argent qui manque, mais les désirs, les rêves, les visions — et la sensibilité au présent — de ceux qui le gèrent.

Le désenchantement se nourrit du sentiment croissant que l’écart s’approfondit entre les artistes et les gestionnaires de la culture, que ceux-ci jouent d’abord leur carrière, tandis que les artistes impliquent intensément leur vie.

André Rouillé.

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lkka Halso, Outside the Cube, 2003. Série «The Cube». Photo couleur, tirage chromogène. 50 x 63,5 cm. Courtesy Galerie Frank, Paris.

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