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Les Aventures de Mao en Amérique

Véronique Béghain livre une étude sur un sujet original : le détournement de la figure du Grand Timonnier chinois par des artistes, écrivains ou compositeurs américains des années 1970.

Information

Présentation
Véronique Béghain
Les Aventures de Mao en Amérique

Héros improbable de l’art américain postmoderne, Mao est au cœur d’entreprises littéraires, plastiques et musicales singulières que l’on doit à plusieurs artistes américains. Pourquoi ceux-ci éprouvent-ils le besoin de puiser dans l’histoire chinoise ? La Chine révolutionnaire serait-elle cet «ailleurs» permettant d’envisager à nouveaux frais les rapports entre l’art et la politique ?

Cette démarche se trouve étroitement liée à une dynamique de décomposition des cadres esthétiques et de déconstruction d’objets préconstruits. Avec ces avatars de la figure de Mao au pays du grand Sam naît une démarche qui exhibe la nature foncièrement «collaborative» de l’activité artistique.

Extraits de l’introduction

«À l’origine de ce livre se trouve la convergence qui se dessine entre des Å“uvres littéraire, picturale et musicale américaines ayant pour objet la figure du dirigeant chinois Mao Zedong et la/les révolution(s) chinoise(s) de la deuxième partie du vingtième siècle. Le corpus qui fonde les hypothèses de ce livre est constitué d’une Å“uvre littéraire, Les Aventures de Mao pendant la Longue Marche (1971), premier « roman » de l’écrivain américain Frederic Tuten ; d’une Å“uvre musicale, Nixon in China (1987), premier opéra du compositeur américain John Adams et de la poétesse américaine Alice Goodman ; et d’une Å“uvre picturale, la série des Mao d’Andy Warhol, qui date du début des années soixante-dix et correspond au retour de Warhol à l’image fixe, après plusieurs années consacrées au cinéma. […]
   
Intriguée par cette convergence, à une quinzaine d’années d’intervalle, vers un sujet à bien des égards extra-ordinaire (après tout, quelle autre figure historique qui n’appartienne pas au patrimoine américain a suscité, chez des artistes américains, un intérêt équivalent ?), j’ai lu, regardé, écouté ces œuvres, et découvert qu’elles entretenaient des correspondances qui dépassaient leur simple sujet manifeste, ne serait-ce que du fait de l’étonnante propension qu’avaient leurs médiums, de prime abord hétéromorphes et hétérotopes, de s’attirer l’un l’autre, de se rejoindre, voire de se mimer. Ainsi convient-il de regarder, et pas seulement de lire, le roman de Tuten, de même que l’opéra d’Adams se lit autant qu’il se regarde et s’écoute. Si, de prime abord, les œuvres ici examinées voient leur convocation en un même lieu légitimée de ce qu’elles se déploient autour d’un même sujet, leur lecture croisée a fait rapidement apparaître une nécessité plus grande à les rassembler et à les jauger à l’étalon les unes des autres.

Car, si ce héros improbable de l’art américain d’une époque, au statut duquel Mao leur doit d’accéder, se trouve à travers elles promu au rang de sujet, en tant qu’il est soumis à la réflexion, et par là même assujetti, il s’y constitue, par ailleurs, selon un paradoxe du reste inscrit dans les virtualités antonymiques du mot « sujet », en sujet agissant, voire régissant, de l’œuvre. Loin d’être le simple prétexte agi d’entreprises artistiques largement occupées par le renouvellement des formes, le sujet Mao en commande l’épanouissement selon des procédures qui ont tout à voir avec ce qu’en tant qu’objet livré à la réflexion, à la spéculation ou à la contemplation il évoque par ailleurs. Figure centrale d’œuvres qui travaillent à le représenter, il en est aussi la figure figurante, ferment et principe actif de modes d’élaboration dont les enjeux sont à chercher tout autant dans l’imbrication étroite qu’ils donnent à voir d’un motif et d’une méthode que dans le seul motif lui-même.»

L’auteur
Véronique Béghain
est maître de conférences de littérature anglaise à l’Université de Bordeaux III, et traductrice (Oscar Wilde, Charlotte Brontë).