ART | CRITIQUE

Les Articles indéfinis

PElisa Fedeli
@18 Avr 2011

Aurélien Froment se réapproprie sous différents médiums les sources qu'il affectionne: d'Arcosanti à Fröbel, en passant par l'invention de la machine à papier, c'est toute notre compréhension du monde qu'il interroge et, avec elle, le rapport du savoir à l'interprétation.

Aurélien Froment présente à la galerie Marcelle Alix un ensemble de pièces, dont certaines ont déjà été exposées au Centre culturel français de Milan en 2011 et qui ont en commun de révéler le fossé qui sépare les objets de leurs interprétations.

Un premier ensemble de pièces témoigne de l’intérêt de l’artiste pour l’architecture, et en particulier pour le site d’Arcosanti. Imaginée dans les années 1970 par l’architecte Paolo Soleri en plein désert américain, cette ville expérimentale est toujours en cours de construction et aspire à devenir une nouvelle version de la cité idéale.

Fasciné par ce lieu qu’il a découvert en 2002, Aurélien Froment retravaille sans cesse les Å“uvres et les archives qu’il en a tirées. Après un film réalisé en 2005, il se déplace vers d’autres médiums. La cloche en terre cuite, qui est le symbole touristique d’Arcosanti, lui inspire deux Å“uvres juxtaposées: une photographie et un mobile. L’objet est ainsi exposé à côté de son image, dans une sorte de mise en abyme.

Enfin, Table rase est une photographie panoramique, prise au nord d’Arcosanti, qui documente le paysage environnant plutôt que la ville elle-même. Au lieu de l’objet, elle renseigne son à-côté. Elle témoigne, comme à rebours, de ce que la ville était avant d’être: un désert. Aurélien Froment livre ainsi sa vision personnelle d’Arcosanti, dont l’aspect morcelé doit être reconstitué par le spectateur.

La partie suivante de l’exposition puise sa source dans les travaux du pédagogue allemand Fröbel.
Au mur, en guise de papier peint, Aurélien Froment a reproduit une planche d’époque, présentant de manière schématique les outils pédagogiques inventés par ce personnage historique (Un paysage de dominos, 2011). Composés de formes géométriques élémentaires, ces outils étaient destinés à l’éveil des enfants dans leur appréhension du monde. Le plus célèbre est un portique constitué de trois volumes (une sphère, un cylindre et un cube) à faire tourner sur eux-mêmes. Aurélien Froment s’en réapproprie la forme pour la mettre à l’épreuve de médiums différents: un croquis, sa matérialisation en 3D et la photographie de celle-ci (The second Gift, 2010).
Plus loin, une photographie représentant deux enfants en pleine séance de jeu rend hommage à la postérité des idées de Fröbel.

La dernière partie de l’exposition se poursuit au sous-sol de la galerie, avec deux vidéos.
Pulmo Marina est un plan serré sur une méduse en train de nager. Ses mouvements ondulants sont magnifiés par une transformation artificielle des couleurs: la méduse semble alors danser dans des eaux magiques, bleutées et fluorescentes. La séduisante poésie de l’image pourrait transporter le spectateur dans un univers onirique et hypnotique, si une voix off ne venait pas créer une dissonance. La personne dont elle émane se présente, avec un fort accent anglais, comme le visiteur d’un aquarium et se met à réciter un commentaire scientifique ardu autour de l’animal. Dans le flot de paroles, quelques remarques personnelles (en particulier sur «l’air mal peigné» de la méduse) ajoutent de la confusion! La présence de ce personnage, fortement caractérisé, ancre ainsi la scène dans un contexte tout différent, plus prosaïque mais aussi plus humoristique.

Le second film, Fourdrinier machine Interlude, joue sur le même décalage. Tandis qu’un travelling détaille lentement les rouages d’une antique machine à papier, la voix off d’un enfant récite maladroitement un exposé de type encyclopédique. Les hésitations et les erreurs de déchiffrage plonge le spectateur dans un univers profondément humain et attachant, qui contraste avec la rigueur strictement documentaire de l’image.

Aurélien Froment interroge les mécanismes de l’apprentissage dans notre compréhension du monde. Il se déplace d’un médium à un autre pour mettre à nu les subjectivités inhérentes à toute interprétation.
«Les articles indéfinis», tel est le titre qu’il a choisi pour cette exposition qui exhume, non sans un brin de nostalgie, les vieilles leçons apprises sur les bancs de l’école.

— Aurélien Froment, Un paysage de dominos, 2011. Silkscreen print on paper. Vvariable dimensions (53 x 53 cm squares)
— Aurélien Froment, La Table rase, Arcosanti, juillet 2002, 2011. Silkscreen print on paper. 120 x 160 cm
— Aurélien Froment, A Soleri Bell (Cosanti Originals), Scottsdale, juin 2002, 2011. Silkscreen print on paper. 160 x 120 cm
— Aurélien Froment, Paolo Soleri, Incomplete Soleri Windbell, 2011. 7 terra cotta and brass windbells; Variable dimensions
— Aurélien Froment, Tristan et Anisa, Arcosanti, 15 juillet 2002, 2011. Silkscreen print on paper. 160 x 120 cm

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