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Les Arpenteurs

Le paysage est une question centrale à l’œuvre d’Anne Favret et de Patrick Manez. Les Arpenteurs revient sur leur immersion au sein de l’observatoire astrométrique du plateau de Calern avec pour seul équipement leur chambre photographique. Ils proposent ici leur propre vision de cet univers savant qu’ils ont rapidement désigné comme une utopie.

Information

Présentation
Anne Favret, Patrick Manez, Michel Poivert
Les Arpenteurs

Depuis 1989, le paysage constitue un des éléments importants des préoccupations d’Anne Favret et Patrick Manez, le paysage comme la trace visible d’un monde en perpétuel renouvellement.

Cela faisait longtemps que les deux photographes cherchaient à travailler autour de l’idée d’utopie. Les Arpenteurs présente leur travail réalisé à l’observatoire du plateau du Calern, situé sur les hauteurs de Nice. Hors du temps, ce plateau calcaire aride et vallonné est traversé de chambres souterraines qui parfois en façonnent la surface sous forme de dolines. Dans cet espace unique, un petit village de chercheurs s’est établi, où vingt-cinq personnes construisent elles-mêmes leurs propres outils de travail, capables de produire du savoir comme des objets. Combinée à la spécificité géologique du site, la diversité des bâtiments rencontrés — monuments à l’aspect futuriste et baraques en tôle — confère à l’endroit, où semble vivre une civilisation isolée, un caractère particulier. Les vestiges des hommes se mêlent aux constructions de la nature et le plateau paraît baigner dans une autarcie qui incite au développement de l’imaginaire.

De ce lieu dans lequel ils se sont immergés plusieurs années, Anne Favret et Patrick Manez font émerger leur vision d’une utopie contemporaine, rejoignant la conception de Thomas Moore, pour qui l’utopie est un non-lieu, une société coupée du monde, établie dans un espace à la géographie imaginaire. Pour créer cet univers particulier, ils se sont ainsi intégrés dans le quotidien de la station de recherche, comme ils l’expliquent eux-mêmes: «depuis plusieurs années, semaine après semaine, nous nous sommes immergé dans la vie de l’Observatoire, échangeant avec l’ensemble des équipes, accompagnant les événements du site, travaillant au rythme des saisons sur les différentes activités de Calern». Ils ont ainsi pu capter l’évolution des saisons, dont l’enchaînement anarchique contribue à extraire le lieu de toute temporalité. Cette impression est renforcée par la luminosité particulière des images, qui ne permet pas de situer la scène à un moment précis de la journée.

Le lieu de la recherche scientifique et de la production de savoir devient ainsi un lieu de l’imaginaire, une île utopique isolée sur son plateau, qui sert de décor aux photographes pour la réalisation de leur récit. L’ouvrage devient lui-même un nouvel espace, celui du conte construit par Anne Favret et Patrick Manez.

«Les hommes sont ici présentés dans un registre singulier. Les photographes leur demandent de poser, mais sans que l’on puisse définir la limite entre portrait et mise en scène. La précision documentaire des images ne rime pas avec un souci d’exhaustivité dans la description des actions. Le tout est un art de l’ellipse maîtrisée, non pas sur un mode allégorique, mais plutôt comme des tableaux vivants. Qu’est-ce qui est réel dans ce livre?

L’aspect clinique des vues de la station, des outils, des bureaux et des machines devrait nous rassurer sur la rationalité des usages de chacun de ces espaces et de ces équipements. L’inverse se produit: le regard porté sur chaque élément les esthétise, c’est-à-dire, précisément les soustrait à leur fonction, pour les consacrer dans leur expressivité formelle. Le laboratoire est observé comme s’il s’agissait d’un atelier d’artiste où le moindre recoin, la plus petite association de matériaux contient une pensée au travail sur les formes et les représentations du monde. Solaris projette dans nos esprits ce temps où la pratique du savant et celle de l’artiste ne faisaient qu’un.»
Michel Poivert